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Le bon usage

Le bon usage

Mon blog est consacré essentiellement au bon usage de la langue française. Il est donc, spécialement conçu et destiné aux collégiens,lycéens, étudiants,et notamment aux amoureux de la langue de Molière.


George Sand à Honoré de Balzac

Publié par Fawzi Demmane sur 18 Décembre 2010, 23:36pm

Catégories : #Correspondances célèbres

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Paris, février 1842


Mon ami, je suis bien touchée de votre dédicace et bien enchantée de votre livre. M. Souverain me l’a fait attendre plusieurs jours, et j’ai passé ces deux dernières nuits à le lire. Je suis fière aussi de cette dédicace, car le livre est une des plus belles choses que vous ayez écrites. Je n’arrive pas à vos conclusions, et il me semble au contraire que vous prouvez tout l’opposé de ce que vous voulez prouver. C’est le propre de toutes les grandes intelligences de sentir si vivement et si naïvement le pour et le contre (ces deux faces de la vérité, que la science sociale et philosophique saura concilier un jour) qu’elles laissent après elles deux sillons lumineux par lesquels les hommes marchent à leur gré, aimant le poète pour des raisons fort diverses et fort bien fondées de part et d’autre.


Il y a longtemps que je rêve de faire sur vous un long article de discussion sérieuse où vous seriez peut-être plus contredit en mille choses que vous ne l’avez jamais été, et où vous seriez cependant placé à une hauteur où personne n’a su vous mettre. Je trouve qu’on ne vous a jamais compris, et il me semble que moi je vous comprends bien. Je ne ferai pourtant jamais ce travail sans votre assentiment, et ne le publierai pas non plus sans vous le soumettre. Juger ses amis malgré eux, ne m’a jamais semblé de bonne foi, ni de bonne amitié.


À laisser à part toute discussion de fond, et à ne voir que le talent vous en avez eu dans ce livre sous une face nouvelle, outre mille choses exquises de noblesse, et de chasteté voluptueuse, il y a une peinture du sentiment maternel, puéril quelquefois (je vous admire trop pour vous cacher rien de mon impression) mais sublime presque toujours. Ainsi je trouve que vous lavez trop ces enfants devant nous, et cependant avec quel art prodigieux et quelle charmante poésie, vous nous faites malgré tout, accepter toutes ces éponges et tous ces savons ! Mais la lettre sur l’enfant malade est si vraie, si énergique, si sublime qu’il faut, mon cher, que vous ayez, suivant nos idées de Leroux, un souvenir d’existence antérieure, où vous auriez été femme et mère. Après tout, vous savez tant de choses que personne ne sait, vous vous assimilez tant de mystères du non moi (n’allez pas rire !) que je trouve en vous la plus victorieuse confirmation du système Pythagoricien de notre philosophe. Vous êtes un moi exceptionnel, infiniment puissant, et doué de la mémoire que les autres pauvres diables de moi ont perdue. Grâce à votre intensité de persistance dans la vie, vous êtes dans un continuel rapport de souvenirs et de sensations avec les séries infinies de non moi que votre moi a parcourues. Faites-nous un poème là-dessus. Je suis sûre qu’en fixant votre attention sur votre passé éternel, vous verrez ce monde des ombres s’animer devant vous, et vous saisirez la vie, là où nous ne voyons que morts et ténèbres. Bonsoir, cher Dom Mar, et merci encore. J’admire celle qui procrée, mais j’adore celle qui meurt d’amour. Voilà tout ce que vous avez prouvé et c’est plus que vous n’avez voulu.


À vous,


George

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