Le texte argumentatif cherche à emporter l’adhésion du destinataire pour qu’il adopte la position du locuteur; cependant, il y a plusieurs façons de mener cette tâche à bien: on peut démontrer le bien-fondé de la thèse que l’on défend, convaincre son interlocuteur que c’est la thèse la plus probante, ou l’en persuader.
Démontrer
Il me paraît démontré que les bêtes ne peuvent être de simples machines; voici ma preuve. Dieu leur a fait précisément les mêmes organes de sentiment que les nôtres; donc, s’ils ne sentent point, Dieu a fait un ouvrage inutile; or Dieu, de votre aveu même, ne fait rien en vain; donc il n’a point fabriqué tant d’organes de sentiment pour qu’il n’y eût point de sentiment; donc les bêtes ne sont point de pures machines.
(Voltaire, Lettres philosophiques, 1734)
- Lorsqu’on démontre une thèse, on en prouve la véracité par des éléments irréfutables. La démonstration est ainsi rationnelle et logique; ses conclusions sont normalement indiscutables. Aussi démontrer ne nécessite-t-il pas d’interlocuteur: la vérité de ce que l’on démontre n’a pas besoin d’être accréditée par autrui.
- Un texte argumentatif qui cherche à démontrer est reconnaissable à:
• son apparence généralement objective: le locuteur s’efface, parce qu’il expose une vérité qui a force de loi;
• son raisonnement logique, dont la cohérence est explicite; ici, Voltaire emploie une forme de syllogisme;
• ses nombreux mots de liaison, qui marquent la progression de la démonstration.
Convaincre
C’est une dangereuse invention que celle de la torture, et il me semble que c’est une épreuve de force, plutôt qu’une épreuve de vérité. Ainsi celui qui peut la supporter cache la vérité, comme celui qui n’en est pas capable. En effet, pourquoi la douleur me ferait-elle avouer mes fautes, plus qu’elle ne me contraindrait à dire ce qui n’existe pas?
(Michel de Montaigne, Essais, 1580-1588)
- Lorsque l’on convainc quelqu’un du bien-fondé d’une thèse, on l’amène à reconnaître rationnellement que l’opinion que l’on défend est vraie ; la différence avec la démonstration est que la thèse n’est pas irréfutable, et qu’il est toujours possible de défendre la thèse adverse. Aussi convaincre nécessite-t-il un interlocuteur.
- Un texte argumentatif qui cherche à convaincre est reconnaissable à :
• la présence d’arguments et d’exemples à l’appui de la thèse;
• l’emploi de raisonnements logiques, déductifs ou inductifs, qui s’appuient sur des mots de liaison (« ainsi », « en effet ») ;
• la prise en compte de la thèse adverse, que l’on cherche à réfuter. Ici, Montaigne s’oppose explicitement à ceux qui défendent la torture comme moyen de forcer les accusés à avouer leur culpabilité.
Persuader
Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein coeur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse Tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d’esprit de justice, a déjà baptisée du nom de « Tour de Babel ».
(« Les Artistes contre la Tour Eiffel »,
Le Temps, 14 février 1887)
- Lorsqu’on persuade quelqu’un du bien-fondé d’une thèse, on l’amène à reconnaître sentimentalement que l’opinion que l’on défend est vraie; la persuasion ne s’appuie donc pas sur des arguments logiques, mais fait appel à l’émotion du destinataire.
- Un texte argumentatif qui cherche à persuader est reconnaissable à :
• la volonté d’impliquer le destinataire, soit par les moyens énonciatifs traditionnels (apostrophe, interrogations…), soit par le recours à l’émotion (registres pathétique ou comique par exemple);
• l’usage de nombreux procédés et figures de style, pour séduire le destinataire par un discours attrayant;
• l’absence de véritable argument, auquel se substituent des jugements subjectifs; ici, les « artistes » critiquent la Tour Eiffel et dénoncent sa laideur, mais ne donnent pas d’argument logique contre sa construction.