Introduction
Il est vrai que la richesse de la situation linguistique algérienne avec toutes les ambiguïtés qu’elle ne cesse de provoquer, font d’elle une véritable source inépuisable d’interrogations et de recherches. En effet, le paysage linguistique algérien continu à subir des changements importants. Ce sont de véritables « coup de théâtre » dirons-nous ! Car à l’heure actuelle, l’entreprise linguistique prônée par le pouvoir précédemment en place, à savoir, une arabisation totale de tous les secteurs, semble être « mise en sourdine ». Aujourd’hui, l’usage du français est toujours omniprésent. Cette langue se réapproprie peu à peu l’espace qu’elle avait perdu.
C’est pourquoi l’objet de notre communication est de soulever un paradoxe qui n’échappe à personne : s’il est vrai que l’Algérie est le seul pays du Maghreb à n’avoir pas rejoint la Francophonie institutionnelle pour des raisons que nous connaissons, il ne faut pas oublier pourtant que c’est le deuxième pays francophone dans le monde .
La réalité sociolinguistique algérienne permet de montrer l’existence de trois catégories de locuteurs francophones algériens. Nous avons, premièrement les « francophones réels », c’est-à-dire, les personnes qui parlent réellement le français dans la vie de tous les jours ; deuxièmement, les « francophones occasionnels », et là, il s’agit des individus qui utilisent le français dans des situations bien spécifiques ( formelles ou informelles) et dans ce cas nous relevons le fait qu’il y a un usage alternatif des langues qui sont le français et l’arabe, usage qui s’explique par certaines visées pragmatiques. Enfin, ce que nous nommons des « francophones passifs », et il est clair que cette catégorie concerne les locuteurs qui comprennent cette langue mais qui ne la parlent pas.
C’est pourquoi, nous nous apercevons qu’à l’heure actuelle, la langue française occupe toujours une place fondamentale dans notre société, et ce, dans tous les secteurs : social, économique, éducatif. Mais, comme nous venons de le signaler, cette langue coexiste de toute évidence avec d’autres langues qu’elles soient institutionnelles ( l’arabe classique / l’arabe moderne) ou non institutionnelles, telles que les langues maternelles comme l’arabe algérien ou dialectal et toutes les variantes du berbère. Par rapport à ces langues, nous avons pu observer le fait que le français garde une place non dérisoire dans la vie quotidienne de chaque algérien, qu’il s’agisse de l’étudiant, du commerçant, de l’homme d’affaire, de l’homme politique. Et pourtant, l’Algérie, est le seul pays du Maghreb qui ne fait partie d’aucune institution officielle se faisant l’ambassadeur de la langue française, à savoir, la Francophonie .
a/ La place du français dans la réalité algérienne
La langue française occupe encore une place prépondérante dans la société algérienne, et ce, à tous les niveaux : économique, social et éducatif. Le français connaît un accroissement dans la réalité algérienne qui lui permet de garder son prestige, et en particulier, dans le milieu intellectuel. Bon nombre de locuteurs algériens utilisent le français dans différents domaines et plus précisément dans leur vie quotidienne .
En effet, le français est un outil de travail important pour les Algériens que ce soit sur leur lieu de travail, à l’école ou même encore dans la rue. Nous pouvons dire que cette expansion du français s’est faite ces dernières années grâce aux paraboles qui foisonnent de plus en plus dans l’environnement sociolinguistique de chaque foyer algérien.
Cette langue tient aussi une position forte dans l’enseignement universitaire technique et scientifique. Le constat que fait à ce propos M. Achouche reste d’actualité car dit-il : « malgré l’indépendance et les actions d’arabisation qui s’en sont suivies, les positions du français n’ont pas été ébranlées, loin de là , son étude ayant même quantitativement progressé du fait de sa place dans l’actuel système éducatif algérien ». Elle a également une fonction importante dans le secteur médiatique comme en témoigne l’essor de la presse francophone.
Il est vrai que le français avait le statut de langue seconde jusqu’à la mise en place de l’école fondamentale dans le système éducatif algérien. Ce statut s’explique, d’une part, par le fait que cette langue permettait de transmettre les matières d’enseignement, d’autre part, étant donné le nombre de cours de français dispensés dans le primaire et le secondaire C’est ce statut privilégié du français que met en évidence P. Eveno lorsqu’il fait remarquer que « en effet, nombre d’Algériens possèdent quelques notions de français, reçoivent les programmes français de télévision et gardent des relations avec les émigrés installés en France. Par ailleurs, beaucoup de professeurs et d’instituteurs ont fait leurs études en français et les universités françaises accueillent encore des Algériens. » Mais, il est à faire remarquer que si dans le secteur éducatif et plus précisément dans le primaire et le secondaire, l’arabe a pris en charge les enseignements des matières scientifiques, néanmoins, l’arabisation n’a pas été poursuivie dans le supérieur puisque paradoxalement le français est resté dans de nombreuses universités, la langue de l’enseignement et des techniques. C’est pourquoi, ce hiatus a entraîné un malaise chez les apprenants car après douze ans de pratique de la langue arabe, de nombreux bacheliers des filières scientifiques au niveau du secondaire sont confrontés, dès le premier jour de leur rentrée universitaire, à un problème, celui de communiquer avec le professeur, de suivre un cours magistral. En effet, ces étudiants assistent à des cours magistraux dispensés par un enseignant mais qui utilise une langue qui leur semble tout à fait étrangère, alors qu’ils l’ont étudié ce pendant neuf ans . Que penser de ce paradoxe ? Que faut-il attendre de ces étudiants qui ne maîtrisent pas la langue d’enseignement... ?. Dans ce cas , « Il faut faire une évaluation sur le terrain pour définir exactement les perspectives nécessaires et en dégager les programmes avec un contenu adéquat pouvant servir l’étudiant à bon escient. » En d’autres termes, il faut admettre que le français a joué un rôle important dans l’instruction des cadres algériens, précisément dans les secteurs scientifiques et techniques.
Il ne faut pas perdre de vue que cette langue a connu une extension remarquable dans les milieux d’intellectuels algériens. Elle a été une arme pour un bon nombre d’entre eux, entre autre , pour Kateb Yacine qui considérait que « c’est en français que nous proclamons notre appartenance à la communauté algérienne (...)».En outre, il est indéniable que la pénétration de la langue française en Algérie a été rapide car ainsi que le signale H. Walter « (…) Les musulmans n’ont fréquenté l’école française qu’à partir du début du Xxe siècle. Néanmoins en ce qui concerne l’Algérie, on peut dire qu’à cette époque, et surtout à partir de 1930, le français avait déjà pénétré partout. Cela signifie que contrairement au reste de l’Afrique francophone, c’est surtout par des communications orales et non pas uniquement par l’école que le français a pris place dans la vie des habitants. ». Elle représentait ainsi un outil de travail et aussi un instrument de communication dans la vie de tous les jours, en l’occurrence, dans certaines grandes villes et dans certains milieux privilégiés d’un point de vue culturel et social. En fait, Nous pensons pouvoir dire, à la suite de D. Caubet que « le français en tant que langue de l’ancien colonisateur a un statut très ambigu ; d’une part il attire le mépris officiel ( il est officiellement considéré comme une langue étrangère au même titre que l’anglais, mais d’autre part, il est synonyme de réussite sociale et d’accès à la culture et au modernisme ». Sur le terrain effectivement, nous nous apercevons que le monde des affaires qu’il soit économique ou financier privilégie encore et toujours l’usage du français. Nous avons donc affaire dans ce cas à des relations qui se nouent grâce à la langue française . De plus cette langue est non seulement vue comme la possibilité d’une ascension sociale mais elle demeure également un instrument d’ouverture vers la connaissance et un instrument de communication largement employé. C’est ainsi qu’elle reste la langue des citadins cultivés, du monde de l’industrie et du commerce international.
b/ Le français : une ouverture sur le monde extérieur
Le français reste la langue internationale de la culture, de la politique et de la diplomatie. Sa renommée et sa célébrité sont universellement démontrées.
Si dans notre système éducatif algérien « une guerre des langues » entre le français et l’anglais persiste, il n’en demeure pas moins que le français reste dans une position défensive dans cette querelle. C’est ainsi que cette langue est privilégiée par de nombreux parents d’élèves qui la choisissent comme première langue étrangère( 58% y sont favorables). En fait, cet emploi préférentiel pour le français s’explique inévitablement lorsque l’on sait pertinemment que ce sont plutôt des visées idéologiques qui ont caractérisées l’introduction de l’anglais en 1994 comme une « soi disant » option dans le primaire mais qui est de toute évidence en concurrence avec le français. Maîtriser cette langue est donc un acquis qu’il serait regrettable de perdre, surtout lorsque l’on sait qu’il permet un accès au modernisme. En effet , le français est incontestablement une des langues qui permet d’accéder à Internet. N’oublions pas que nous nous situons aux portes de l’Europe et que l’évolution de la technique , la science, la vie économique, sociale et culturelle exige une maîtrise parfaite du français. C’est ainsi que dans les ministères techniques les rapports sont écrits en français.
C’est pourquoi, une révision du système éducatif qui constitue la base de tout développement doit se faire inévitablement. En effet, il devient urgent de revoir le contenu des programmes, le niveau, la qualité de l’enseignement à tous les niveaux pour pouvoir se mettre sur le même plan que les sociétés avancées. Car « ces exigences vitales sont dictées par les impératifs de la globalisation de la vie moderne et ses complexités ainsi que par les exigences de la modernité ». Nous ne pouvons nier le fait qu’une approche du monde scientifique ne peut se faire sans la possession de plusieurs langues. En conséquence , nous devons adopter une attitude de tolérance vis à vis de la langue française, car c’est non seulement une façon de « penser le plurilinguisme » mais c’est aussi une manière de « penser l’universalisme ».
Conclusion
Pour conclure nous dirons que notre objectif a été de montrer que la francophonie en Algérie n’est pas un mythe mais, au contraire, est une réalité et que cet outil qu’est le français est non seulement une richesse qu’il serait dommage de dilapider mais qui fait également partie intégrante du paysage linguistique algérien.
Si nous devions qualifier globalement notre francophonie nous dirions qu’une partie de la population algérienne sont des « francophones occasionnels » puisqu’ils font appel au français dans certaines situations de communication pour glisser ensuite à leur langue maternelle. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue également que les « francophones réels » existent dans le paysage sociolinguistique algérien et particulièrement dans certains milieux socioculturels favorisés, où il est vrai que le français y domine tout particulièrement, ainsi que dans d’importants secteurs du monde du travail. En outre, si beaucoup de locuteurs algériens possèdent une certaine connaissance de cette langue, il est question en règle générale d’une connaissance passive et qui va rarement à une maîtrise totale. Ce constat contribue donc à considérer que la Francophonie en Algérie n’est aucunement un mythe mais bien au contraire une réalité que nous ne pouvons nier .
SAFIA RAHAL
Maître de conférences
Département de Sociolinguistique
Université d’Alger. Algérie
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