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Le bon usage

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Mon blog est consacré essentiellement au bon usage de la langue française. Il est donc, spécialement conçu et destiné aux collégiens,lycéens, étudiants,et notamment aux amoureux de la langue de Molière.


Qu’est-ce que le Nouveau Roman ?

Publié par Fawzi Demmane sur 30 Novembre 2011, 16:08pm

Catégories : #Littérature

Qu’est-ce que le Nouveau Roman ?

 

Pour éclaircir cette expression, il faudra d’abord affirmer qu’il ne s’agit pas d’un groupe littéraire comme le Surréalisme, ni d’une école comme l’Existentialisme. Le mot « mouvance » nous paraît plus approprié. D’un côté, les limites du groupe sont floues ; elles ont été établies par la critique(1) de manière arbitraire en se fondant sur une photographie prise par l’Italien Mario Dondéro, qui souhaitait regrouper des personnalités incarnant la modernité, devant les éditions de Minuit. Le clichée réunissait Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Robert Pinget, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute et Claude Ollier. Sont absents pour diverses raisons Marguerite Duras, Jean Ricardou et Michel Butor. Roger Michel Allemand(2) a montré avec beaucoup d’humour comment se trouva ainsi créée une unité quelque peu factice.  D’un autre côté, les œuvres des nouveaux romanciers sont irréductiblement individuelles. L’impossibilité d’établir un dictionnaire collectif qui définit la terminologie utilisée par la critique témoigne de cette dispersion. À ce propos, Alain Robbe-Grillet confie au Magazine Littéraire en 1967 : « Le groupe était d’ailleurs effectivement hétérogène. J’aime beaucoup ce qu’écrit Nathalie Sarraute et elle aime aussi ce que j’écris. Mais il est évident que nous n’écrivons pas du tout la même chose. Nous avons plus de refus que de projets positifs communs.(3)»

 

De même, N. Sarraute restreint ainsi les convergences : « Nous étions tous d’accord pour dire que le personnage, l’intrigue, étaient des choses dépassées. Mais nous n’avons jamais formé à proprement parler un groupe.(4)»

 

On comprend que les Nouveaux romanciers forment un groupe uni quand il s’agit de refus et que dès lors Le Nouveau Roman se définit moins par un programme commun que par des remises en questions : le rejet de l’intrigue, de la linéarité des événements et particulièrement le souci de la vraisemblance et de mimétisme. En témoigne la proclamation suivante : « (…) Il est donc vain et malhonnête de prétendre reproduire le réel, à moins d’accéder à un nouveau réalisme.(5)»

 

Face à ces définitions, la critique a parlé de cette mouvance comme d’une révolution sans précédent qui ravage toute la littérature antérieure.

Le premier qui a parlé de « Nouveau Roman », avec les majuscules baptismales qui isolent un groupe, était Emile Henriot(6), et  l’on remarque que l’adjectif même, dans l’expression « Nouveau Roman », implique la rupture avec un « ancien roman », comme si le critique « […] plantait un panneau indicateur – attention, chute de pierres ou chaussée glissante »(7). Aussi, en 1997, J. Garcin demandait « Quoi de neuf ?» et la réponse suivait : « Le Nouveau Roman »(8).

Aujourd’hui encore, on parle du Nouveau Roman comme un « phénomène brasier »(9). Mireille Calle-Gruber, sous le titre « Le Nouveau Roman ou la fin de la littérature », définit ce mouvement en ces termes : « Atypique pour ce siècle, le « nouveau roman » est un mouvement sans commencement ni fin, sans manifeste, sans programme (…) »(10). Et tout récemment, Francine Dugast-Portes parle d’ « une césure dans l’histoire du récit »(11) et d’une « rupture de la modernité »(12).

 

Malgré l’unanimité des critiques, cette hypothèse de la césure totale ne nous paraît pas tout à fait crédible parce qu’ils appliquent à la littérature des notions qui lui sont étrangères ; ils parlent de la rupture comme une cessation et un commencement. Ce concept de rupture est, certes, vrai pour les sciences exactes : la révolution copernicienne a fait table rase de toutes les théories précédentes qui sont devenues caduques. Cependant, en littérature, il n’existe pas une opposition manichéenne entre un « ancien » et un « nouveau ». Ces deux notions ne sont jamais tout à fait séparables, ni radicalement tranchées. Un mouvement littéraire ne se construit jamais à partir de rien, ex nihilo. C’est dans cette même perspective que Kundera affirme : « L’esprit du roman est l’esprit de continuité : chaque œuvre est la réponse aux œuvres précédentes, chaque œuvre contient toute expérience extérieure du roman. Mais l’esprit de notre temps est fixé sur l’actualité qui est si expansive, si ample qu’elle repousse le passé de notre horizon et réduit le temps à la seule seconde présente.(13)»

 

Dès lors, suivant le principe selon lequel « chaque caractère nouveau n’(est) que la métamorphose d’un caractère ancien »(14), nous pouvons avancer que la crise par laquelle passe le genre à travers le Nouveau Roman n’est que la continuation du valérysme et de la littérature qu’il avait influencée. En effet, les deux crises ont les mêmes postulats ou du moins les mêmes refus : le rejet des conventions romanesques du XIXsiècle, à savoir  l’intrigue, la chronologie linéaire qui organise la trame des événements et les personnages vivants et presque réels, et en second lieu l’illusion référentielle construite sous le signe de la vraisemblance.

 

 

Posté par : Sophia Dachraoui

Docteur en littérature française et philosophie.


 



 

(1)Voir Le Nouveau Roman, Paris, Seuil, 1973, où Jean Ricardou détaille la constitution du groupe dans ses étapes historiques, pp.  5-14.

(2)Le Nouveau Roman, Paris, Ellipse, 1996, p. 3.

(3)Texte paru initialement dans le Magazine littéraire puis dans Le Voyageur, Mesnil-sur-L’Estrée, Olivier Corpet, 2001, p. 321.

(4)N. Sarraute, in Le monde des livres, 26 février 1993.

(5)Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Gallimard, Paris, 196,  p. 59.

(6)Le Nouvel Observateur,  22 mai 1957.

(7)Le Nouvel Observateur, article de Jérôme Garcin, septembre 1997.

(8)Ibid.

(9)Le Monde, août 2000.

(10)Histoire de la littérature française du XIXe  siècle ou les repentirs de la littérature, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 139.

(11)Voir le titre de son livre : Le Nouveau Roman : une césure dans l’histoire du récit, Paris, Nathan, 2002.

(12)Ibid., p. 17.

(13)L’Art du roman, Paris, folio, 1986, p. 30.

(14)Marcel Proust, Du côté de chez Swann,op. cit., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1982,  p. 51.

 

 

 

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