Quand le lac est agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l’île, en herborisant à droite et à gauche, m’asseyant tantôt pour rêver à mon aise, tantôt pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d’oeil du lac et de ses rivages.
Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l’île, et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac, sur la grève dans quelque asile caché ; là, le bruit des vagues et l’agitation des eaux fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeait dans une rêverie délicieuse, où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalles, frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisait pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l’instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m’offraient l’image ; mais bientôt ces impressions légères s’effaçaient dans l’uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui, sans aucun concours actif de mon âme, ne laissait pas de m’attacher au point qu’appelé par l’heure et par le signal convenu, je ne pouvais m’arracher de là sans efforts…
J.J. Rousseau : Les rêveries du promeneur solitaire
Extrait posté par Majdouline Borchani, le 25/04/2011