Attirance, affective ou physique, qu'en raison d'une certaine affinité,
un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu'il cherche à s'unir par un lien généralement étroit. L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour (titre d'un roman de Jacques
Chardonne, 1937) :
1. Le cœur humain n'a que deux ressorts, l'ambition et l'amour. (...). Sous le nom d'amour, on peut comprendre toutes les passions expansives qui portent
l'homme hors de lui-même, lui créent un but, des objets supérieurs à sa vie propre, le font comme exister dans autrui, ou pour autrui. L'éducation qui développe les premières passions
personnelles au détriment des expansives est à contre-sens.
MAINE DE BIRAN
2. ... mes facultés baissent, excepté celle d'aimer. L'amour, c'est l'âme qui ne meurt pas, qui va croissant, montant comme la flamme.
E. DE GUÉRIN
3. ... je ne vois pas où est le catéchisme de l'amour et pourtant l'amour, sous toutes les formes, domine notre vie entière : amour filial,
amour fraternel, amour conjugal, amour paternel ou maternel, amitié, bienfaisance, charité, philanthropie, l'amour est partout,
il est notre vie même.
G. SAND
4. Qu'est-ce que l'amour? Le besoin de sortir de soi.
Ch. BAUDELAIRE
5. Il se disait une fois de plus : « Il y a eu en moi trois espèces d'amour, et ils se sont détruits l'un l'autre. J'ai aimé la beauté du ciel, j'ai aimé la beauté des
choses, et c'est une espèce d'amour. J'ai aimé celle qui m'a porté en elle et par qui j'ai connu le jour, et c'est encore une espèce d'amour. J'ai aimé enfin une
troisième fois : j'ai aimé un petit corps souple; et pour cet amour-là, j'ai trahi les deux autres. Alors ils m'ont quitté tous les trois à la fois ». Et c'était de nouveau en
lui comme un grand besoin de pardon. (...). Mais une voix lui répondit : « Il n'y a qu'une espèce d'amour. » Et la suite de la voix fut : « Et qu'une espèce de pardon. »
Ch.-F. RAMUZ
6. Une psychologie trop purement intellectualiste, qui suit les indications du langage, définira sans doute les états d'âme par les objets auxquels ils sont attachés : amour
de la famille, amour de la patrie, amour de l'humanité, elle verra dans ces trois inclinations un même sentiment qui se dilate de plus en plus, pour englober un
nombre croissant de personnes. Le fait que ces états d'âme se traduisent au dehors par la même attitude ou le même mouvement, que tous trois nous inclinent, nous permet de les grouper sous le
concept d'amour et de les exprimer par le même mot : ...
H. BERGSON
I. L'amour comme principe d'union universelle.
A. [L'amour comme principe d'union et de cohésion de l'univers, de la terre, etc.; avec ou sans coloration relig.]
:
7. Depuis le créateur jusqu'à la plus humble des créatures, rien n'échappe à la grande loi de l'amour. - Les corps simples tendent par l'attraction, qui est une sorte
d'amour, au point de l'espace qui leur fut destiné. Les corps composés ont une sympathie, un amour du même genre que le précédent, pour les lieux où ils se
formèrent; ils y acquièrent la plénitude de leur développement; ils en tirent toutes leurs vertus. Les plantes manifestent déjà une préférence, un amour plus marqué, pour les
climats, les expositions, les terrains plus favorables à leur complexion. Les animaux donnent des signes d'un attachement plus vif, d'un amour aisément reconnaissable, qui les
rapproche entre eux et quelquefois les rapproche de l'homme. L'homme enfin est doué d'un amour qui lui est propre pour les choses honnêtes et parfaites,...
F. OZANAM
8. ... le moraliste qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres » n'a pas trouvé là un grand secret. J'accorde bien que l'amour est la vraie richesse vitale; c'est un
merveilleux mouvement pour sortir de soi, pour se jeter dans l'action, et s'y dépenser, et s'y perdre, sans petits calculs. Je sais aussi que lorsque l'amour manque, comme il
arrive dans l'extrême fatigue ou dans l'extrême vieillesse, qui ne sont qu'extrême avarice, il n'y a plus rien à espérer de bon, ni même de mauvais. Mais ce régime de parfaite prudence nous
approche de la mort, et il ne dure guère. L'ordinaire de la vie est un furieux amour de n'importe quoi; chez les bêtes aussi. Car le cheval galope pour galoper; et le moment où
il va partir, le beau moment où il sent en lui-même la pression de la vie, c'est l'amour, créateur de tout.
ALAIN
9. L'exaltation provoquée par la tendresse m'apparaît favorable au philosophe tout de même qu'au saint ou au poète; car ma propre expérience m'enseigna à considérer l'amour
comme une manière de correspondance universelle entre la matière et l'esprit, et comme une expression sensible de leur identité par-devant l'être unique. Source de l'existence, il m'en paraît
être en même temps et le principe indubitable et le sens unique et parfait. Mystère adorable et terrible, instigateur de toute pensée, de tout art et de toute science véritable, il apparaît aux
intelligences primordiales sous des nombres et des formes symboliques qu'il réduit plus tard à la trinité logique de l'éternelle Création, de la Matière et de l'Esprit; ...
O.-V.
MILOSZ
10. À mesure que l'âge m'envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : « Quoi
qu'il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement! Tout est clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même ces champs caillouteux. L'amour
fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu'elles ne finiront jamais! »
Ch. DE GAULLE
Par extension Communion intime avec l'univers :
11. Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours;
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore;
Détache ton amour des faux biens que tu perds;
Adore ici l'écho qu'adoroit Pythagore,
Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts.
A. DE LAMARTINE
12. « ... je voudrais bêcher, bêcher dans la terre. Bêcher, ça me paraît tellement beau! On est tellement libre quand on bêche! Et puis, qui va tailler aussi mes arbres? » Il laissait une
terre en friche. Il laissait une planète en friche. Il était lié d'amour à toutes les terres et à tous les arbres de la terre. C'était lui le généreux, le prodigue, le grand
seigneur! C'était lui, comme Guillaumet, l'homme courageux, quand il luttait au nom de sa création, contre la mort.
A. DE SAINT-EXUPÉRY
13. On n'aurait pu rêver une journée plus belle, plus dorée, et tout à coup Joseph éprouva une sorte d'élan vers la vie et vers tous les êtres, un amour confus pour tout ce
qui existait autour de lui, pour les arbres, pour la belle terre rouge...
J. GREEN
B. En partic. [Dieu comme origine de cohésion universelle et principe de tout amour] Dieu est amour
:
14. Avec cet amour rien n'est plus nécessaire pour nous sur la terre, parce qu'il contient tout, qu'il est tout, et qu'il apprend tout. Voilà pourquoi nous sommes toujours en
rapport avec Dieu, parce qu'il est l'amour universel.
L.-C. DE SAINT-MARTIN
15. Je vous le dis en vérité, celui qui aime, son cœur est un paradis sur la terre. Il a Dieu en soi, car Dieu est amour.
F.-R. DE LAMENNAIS
16. La contemplation seule découvre le prix de la charité. Sans elle on le sait par ouï-dire. Avec elle on le sait par expérience. Par l'amour et dans
l'amour, elle fait connaître que Dieu est amour. Alors l'homme laisse Dieu faire en lui ce qu'il veut, il se laisse lier parce qu'il aime. Il est libre parce
qu'il aime. Tout ce qui n'a pas le goût de l'amour perd pour lui toute saveur.
J. MARITAIN
17. ... chercher Dieu c'est l'avoir déjà trouvé. Il va de soi que nos métaphysiciens le disent, et comment pourraient-ils éviter cette conséquence, puisqu'ils posent notre
amour de Dieu comme une participation de Dieu lui-même? Éternellement préexistant dans le souverain bien, découlant de ce bien vers les choses par un acte de libre générosité,
l'amour retourne au bien qui est son origine. Nous n'avons donc pas affaire ici avec un courant qui s'éloigne toujours plus de sa source, jusqu'à ce qu'enfin il se perde. Né de
l'amour, l'univers créé est tout entier traversé, mu, vivifié du dedans, par l'amour qui circule en lui comme le sang dans le corps...
É. GILSON
18. - Madame, lui dis-je, même en ce monde, il suffit d'un
rien, d'une pauvre petite hémorragie cérébrale, de moins encore, et nous ne connaissons plus des personnes jadis très chères. - La mort n'est pas la folie. - Elle nous est plus inconnue
en effet. - L'amour est plus fort que la mort, cela est écrit dans vos livres. - Ce n'est pas nous qui avons inventé l'amour. Il a son ordre, il a sa
loi. - Dieu en est maître. - Il n'est pas le maître de l'amour, il est l'amour même. Si vous voulez aimer, ne vous mettez pas hors de
l'amour.
G. BERNANOS
C. [Dieu comme objet ou sujet d'une relation d'amour] L'amour de Dieu, l'amour divin; le saint, suprême amour.
19. La raison (...) règne (...) dans tout ce qui tient à la conduite de la vie; mais quand cette ménagère de l'existence l'a arrangée le mieux qu'elle a pu, le fond de notre cœur appartient
toujours à l'amour, et, ce qu'on appelle la mysticité, c'est cet amour dans sa pureté la plus parfaite. L'élévation de l'âme vers son créateur est le culte
suprême des chrétiens mystiques; mais ils ne s'adressent point à Dieu pour demander telle ou telle prospérité de cette vie. Un écrivain français qui a des lueurs sublimes, M. de Saint-Martin, a
dit que la prière étoit la respiration de l'âme.
G. DE STAËL
20. ... il est (...) impossible de prier Dieu sans se mettre avec lui dans un rapport de soumission, de confiance et d'amour; de manière qu'il y a dans la prière, considérée
seulement en elle-même, une vertu purifiante dont l'effet vaut presque toujours infiniment mieux pour nous que ce que nous demandons trop souvent dans notre ignorance.
J. DE MAISTRE
21. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de tous les biens (...). Celui qui aime court, vole; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête
(...). L'amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l'eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts (...). L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme
un grand cri : Mon Dieu! Mon amour, vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne à goûter au fond de mon cœur
combien il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour.
F.-R. de Lamennais
22. Le 28. - Saint Augustin aujourd'hui, ce saint qui pleurait
si tendrement son ami et d'avoir aimé Dieu si tard. Que je n'aie pas ces deux regrets : oh! Que je n'aie pas cette douleur à deux tranchants, qui me fendrait l'âme à la mort! Mourir sans
amour, c'est mourir en enfer. Amour divin, seul véritable. Les autres ne sont que des ombres.
E. DE GUÉRIN
23. Dieu n'avait pas besoin de nous; c'est librement qu'il nous a choisis pour nous communiquer ses biens et nous unir à lui; c'est librement qu'il nous a aimés. Or, de sa nature,
l'amour exige l'amour; il est impossible de préférer sans vouloir être préféré, de se dévouer sans vouloir qu'on nous rende le dévouement, et, quant à l'union,
on ne saurait même la concevoir sans l'idée de la réciprocité. La réciprocité est la loi de l'amour; elle en est la loi entre deux êtres égaux : combien plus entre deux êtres
dont l'un est créateur et l'autre créature, dont l'un a tout donné, et l'autre a tout reçu! Dieu avait un droit infini à être aimé de l'homme, parce que lui-même l'avait aimé d'un
amour éternel et infini, ...
H.-D. LACORDAIRE
24. Il y a un Dieu; il y a un éternel amour dont le nôtre n'est qu'une goutte. Nous irons la confondre ensemble dans l'océan divin où nous l'avons puisée! Cet océan, c'est
Dieu! Je l'ai vu, je l'ai senti, je l'ai compris en ce moment par mon bonheur! Raphaël! Ce n'est plus vous que j'aime, ce n'est plus moi que vous aimez, c'est Dieu que nous adorons désormais l'un
et l'autre! Vous à travers moi! Moi à travers vous!
A. DE LAMARTINE
25. ... lorsqu'il [l'abbé Mouret] s'était attaché sur la croix, il avait la consolation sans bornes de l'amour de Dieu. Ce n'était plus Marie qu'il aimait d'une tendresse de
fils, d'une passion d'amant. Ilaimait pour aimer, dans l'absolu de l'amour. Il aimait Dieu au-dessus de lui-même, au-dessus de tout, au fond d'un épanouissement de lumière. Il
était ainsi qu'un flambeau qui se consume en clarté. La mort, quand il la souhaitait, n'était à ses yeux qu'un grand élan d'amour.
É. ZOLA
26. Le terme de la recherche, c'est un acte d'amour où l'homme aimera Dieu comme Dieu s'aime. Dès lors, on peut dire une fois de plus que le problème demeurera à tout jamais
insoluble, ou qu'il est déjà résolu. Si l'amour de Dieu n'était pas en nous, nous ne réussirions jamais à l'y mettre. Mais nous savons qu'il y est, puisque nous sommes
essentiellement des amours de Dieu créés et que chacun de nos actes, chacune de nos opérations, sont spontanément orientés vers l'être qui est leur fin comme il est leur origine.
La question n'est donc plus de savoir comment acquérir l'amour de Dieu, mais bien plutôt d'amener cet amour de Dieu à prendre conscience de soi-même, de son
objet, ...
É. GILSON
27. « Alors, Jésus le regarda et il l'aima. » Rien n'est changé depuis que cette parole a été dite. Tous, nous sommes aimés; mais il y a le petit nombre de ceux que Jésus regarde soudain et
qu'il aime de cet amour qui exige le don total : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi ».
F. MAURIAC
28. Dépouillement, dis-je, d'où cette aversion de la médiocrité contemporaine pour toute allusion à l'Être simple, à ces quatre lettres de l'alphabet qui composent le mot Dieu, et cette
étrange gageure tenue par le plus grand nombre de l'exclure, avec minutie, de toute écriture. Manque d'amour, manque de génie.
F. JAMMES
29. La création est un acte d'amour et elle est perpétuelle. À chaque instant notre existence est amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que
soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne l'être, il aime en nous le consentement à ne pas être. Notre existence
n'est faite que de son attente, de notre consentement à ne pas exister. Perpétuellement, il mendie auprès de nous cette existence qu'il nous donne. Il nous la donne pour nous la mendier.
L'inflexible nécessité, la misère, la détresse, le poids écrasant du besoin et du travail qui épuise, la cruauté, les tortures, la mort violente, la contrainte, la terreur, les maladies -
tout cela c'est l'amour divin. C'est Dieu qui par amour se retire de nous afin que nous puissions l'aimer. Car si nous étions exposés au rayonnement direct de
son amour, sans la protection de l'espace, du temps et de la matière, nous serions évaporés comme l'eau au soleil; il n'y aurait pas assez de je en nous pour abandonner le je par
amour.
S. WEIL
Par extension Vénération qu'éprouve l'homme pour les œuvres de la création en tant que créées par Dieu. Amour universel :
30. En ces temps médiévaux, une communion, dans une même foi vivante, de la personne humaine avec les autres personnes réelles et concrètes, et avec le Dieu qu'elles aimaient, et avec la
création entière, rendait, au milieu de bien des détresses, l'homme fécond en héroïsme comme en activité de connaissance et en œuvres de beauté; et dans les cœurs les plus purs un grand
amour, exaltant dans l'homme la nature au-dessus d'elle-même, étendait aux choses mêmes le sens de la piété fraternelle; alors un saint François comprenait qu'avant d'être
exploitée à notre service par notre industrie, la nature matérielle demande en quelque sorte à être elle-même apprivoisée par notre amour; je veux dire qu'en aimant les choses,
et l'être en elles, l'homme les attire à l'humain, au lieu de faire passer l'humain sous leur mesure.
J. MARITAIN
31. ... ce que voulait Jos-Mari, et sans s'en rendre compte, c'était que la montagne fût belle comme Dieu, source de vie et, comme lui, digne d'amour.
J. PEYRÉ
32. Tout et tous aimer : geste contradictoire et faux, qui ne conduit finalement qu'à n'aimer rien. Mais alors, répondrai-je, si, comme vous le prétendez, un amour universel
est impossible, que signifie donc, dans nos cœurs, cet instinct irrésistible qui nous porte vers l'unité chaque fois que, dans une direction quelconque, notre passion s'exalte? Sens de l'univers,
sens du tout : en face de la nature, devant la beauté, dans la musique, la nostalgie qui nous prend, - l'expectation et le sentiment d'une grande présence.
P. TEILHARD DE CHARDIN
- Locutions
1. Pur amour. Amour désintéressé de
Dieu:
33. L'amour pur qui est opposé à l'amour mercenaire est cette affection de notre âme qui est portée à se délecter du bonheur d'un autre; or les choses qui
nous délectent, nous les désirons pour elles-mêmes, et comme la félicité de Dieu se compose de toutes les perfections, et est la délectation du sens même de la perfection, il s'ensuit que la
vraie félicité de tout esprit créé consiste entièrement dans le sens de cette félicité divine, en sorte que ceux qui cherchent le vrai, le bon, le juste, plus par la délectation propre qu'en vue
de l'utilité (quoique l'utilité s'y trouve aussi éminemment) sont aussi les mieux préparés à l'amour de Dieu.
MAINE DE BIRAN
34. Les hommes sont malheureux par manque de foi ou par égoïsme. Mais comment faire comprendre cela? Qu'une âme se dise à la fois religieuse et malheureuse, cela est une extraordinaire
invention. (...) Bien peu d'âmes comprennent que l'on peut se sauver de l'égoïsme par un autre amour que par celui des créatures (par le pur amour de Dieu).
A. GIDE
35. ... c'est toujours le même théocentrisme, le même besoin de tout oublier pour ne voir que Dieu. À ces hauteurs, les distinctions scolastiques s'effacent : thomistes, augustiniens,
molinistes se confondent. Par des voies différentes, humanisme dévot et école française arrivent au même but. Il n'y a qu'un pur amour et tous les mystiques se ressemblent comme
des frères.
H. BREMOND
Péjoratif :
36. Le chrétien fervent, tourné uniquement vers Dieu, n'aimait réellement ni lui-même ni les autres, et se trompait en croyant aimer Dieu comme Dieu veut être aimé. C'est en effet au pur
amour de Dieu et au renoncement de toutes les créatures que sont venus aboutir tous les docteurs un peu profonds du christianisme. Tandis que la charité prenait pour le vulgaire
un air d'humanité, tandis que le vulgaire cherchait là une règle pratique de conduite et de vie, les vrais penseurs du christianisme comprenaient bien que la charité du christianisme n'avait
réellement que Dieu pour objet, et que cette charité, entendue par le vulgaire comme l'amour des hommes, n'était réellement qu'un amour
abstrait pour Dieu.
P. LEROUX
2. Pour l'amour de
Dieu.
a) Par pur amour; gratuitement :
37. - Oh! il est mort de l'amour de Dieu, à ce
que dit Monsieur le curé. - Comment, de l'amour de Dieu, Benoît? On en vit, mais on n'en meurt pas, lui dis-je; c'est peut-être aussi de l'amour de
Denise? - Ah! Monsieur, voilà! Il aimait tant le bon Dieu, celui-là, qu'il ne pensait plus à lui, pas plus qu'une hirondelle qui vient de sortir de sa coquille, et qui ne saurait pas manger
si sa mère ne lui apportait pas un moucheron dans le nid. Il n'avait rien ramassé pour les années de maladie; il travaillait pour l'amour de Dieu dans tous les hameaux. Il disait
seulement à ceux dont il avait fait l'ouvrage : « Si je viens à devenir infirme ou malade, vous me nourrirez, n'est-ce pas? »
A. DE LAMARTINE
38. Plus tard, lorsqu'il fut le fermier de ma grand'mère et le maire du village, sa science le rendit fort utile au pays, d'autant plus qu'il l'exerçait pour l'amour de Dieu,
sans rétribution aucune. Il était de si grand cœur qu'il n'était point de nuit noire et orageuse, point de chaud, de froid ni d'heure indue qui l'empêchassent de courir, souvent fort loin, par
des chemins perdus, pour porter du secours dans les chaumières. Son dévouement et son désintéressement étaient vraiment admirables.
G. SAND
b) Exclamation accompagnant un geste pour demander l'aumône :
39. - Fils bien-aimés, disait saint François d'Assise à son troupeau de bienheureux, n'ayez point de honte d'aller demander l'aumône. Allez avec plus de confiance et de joie que si vous
offriez cent pour un, puisque c'est l'amour de Dieu que vous offrez, en la demandant, quand vous dites : - Donnez pour l'amour de Dieu! C'est comme ça, et non
autrement, que je suis tiré, cette fois, des griffes de mon propriétaire.
L. BLOY
40. CLÉRAMBARD. - Merci, mon enfant. Vous nous sauvez. (Relevant sa jupe, La Langouste prend un billet dans son bas). Mme DE LÉRÉ, se plaçant entre La Langouste et Clérambard, elle
s'adresse à lui à mi-voix. - Vous n'allez pas accepter l'argent de cette fille! CLÉRAMBARD. - Soyons sans orgueil, mon amie. Demain, ce soir, quand nous mendierons pour l'amour
de Dieu, irons-nous demander leurs cartes de visite à ceux qui nous feront l'aumône? Nous serons trop heureux d'avoir pu leur inspirer une pensée fraternelle, surtout si ces gens sont des
réprouvés.
M. AYMÉ
c) [Dans le style de la conversation] Exclamation accompagnant la formulation généralement pathétique d'une demande le plus souvent négative
:
41. ... lorsqu'on est bien persuadé qu'on ne peut être ni médecin,
ni avocat, ni banquier, ni évêque, ni courtier-marron, ni ministre, enfin lorsqu'on a l'intime conviction qu'on n'est bon à rien, on peut se faire poète; mais, pour l'amour de
Dieu, pas autre chose.
A. DE MUSSET
42. Où est la force, c'est d'avoir tiré d'un sujet commun une histoire touchante et pas canaille. Seulement, pour l'amour de Dieu, ou plutôt pour l'amour de
l'art, fais encore attention et change moi quelqu'un de ces passages, les seuls auxquels je trouve à redire...
G. FLAUBERT
43. Anna retrouva Wallner au Rond-Point. Il allait d'une allée à l'autre, anxieux, profondément désespéré. - Ah!... D'où viens-tu?... D'où viens-tu? pour l'amour du
ciel!
P. REIDER
44. Papa se calmait, brusquement. Maman bégayait encore : - Raymond! Pour l'amour de Dieu! (...) À vrai dire, l'amour de Dieu, cet amour
auquel maman faisait de si fréquentes invocations, ne tenait plus, dans ce cœur surchargé de soins, une place bien évidente.
G. DUHAMEL
3. Vieilli. Pain de l'amour, pain d'amour. L'Eucharistie :
45. Le pain que j'ai rompu pour mon illustre Cène
Était le pain d'amour et de communion.
Et le vin qui coula d'une illustre fontaine
Était le vin d'offrande et de libation.
Ch. PÉGUY
46. Adorez le Seigneur et la sainte nature; Votre hôte vit
d'amour et de lumière pure; Et le pain de l'amour, cet aliment de feu, Pour qui sait le trouver - c'est la nature et Dieu!
M. DE GUÉRIN
II. L'amour comme principe de cohésion de la société.
A. L'amour comme principe et comme fin de la société humaine.
1. [Avec une coloration relig.] L'amour de charité. Synon. bonté, pitié, dévouement.
a) [En parlant d'une société relig.] :
47. ... uniquement chercher ici le bien de mon âme et le bien de l'église, et aussi le bien de quelques âmes, si Dieu l'indique... Mais en me défendant des enthousiasmes.
L'amour de l'église et des âmes, des âmes lointaines, des âmes par devoir, aussi bien que des âmes par attrait; l'amour de mon diocèse.
F.-A.-P. DUPANLOUP
b) [En parlant de la société profane] L'amour du prochain :
48. Les sœurs de la charité, la plus touchante des communautés religieuses, soignaient les malades de l'hôpital : ces sœurs ne prononcent des vœux que pour une année, et plus elles font de
bien, moins elles sont intolérantes. M. et Madame Necker, tous les deux protestants, étaient l'objet de leur amour.
G. DE STAËL
49. Ce seroit un bien bel ouvrage que l'histoire de la charité, c'est-à-dire de l'amour le plus universel, le plus pur, le plus saint, chez les nations chrétiennes. On le
verroit, d'âge en âge, combattant la férocité native qu'elles apportèrent des forêts du Nord, adoucir leurs mœurs et leurs lois, produire le sentiment que nous appelons humanité, inspirer au
riche la pitié, la tendresse pour le pauvre, au puissant le respect pour le foible, rapprocher tout ce que divisent les intérêts, les préjugés, l'orgueil, prêter aux larmes une force divine,
élever les haillons de l'indigent au-dessus de la pourpre impériale, ...
F.-R. DE LAMENNAIS
50. La haine, la persécution, le mépris, l'extermination des hommes,
rien de cela n'est de Dieu. L'amour du prochain, le support les uns des autres, la compassion, le sacrifice de soi-même, l'adoration d'un seul Dieu d'esprit et de vérité, tout
cela est de lui!
A. DE LAMARTINE
51. ... Dieu qui est amour, n'a pas voulu que sa créature pérît faute d'amour; il a choisi des hommes purs et forts et leur a dit : - Fils de l'église,
je vous fiance à toute douleur, allez à ceux qui sont seuls et qui pleurent, essuyez leurs larmes et annoncez-leur l'éternité d'amour...
J. PÉLADAN
52. Songez donc! Des personnes si riches, en toilettes de gala et qui avaient leurs voitures à la porte! Leurs voitures éternellement inutiles! Tout ça pour l'amour des
pauvres. Oui, tout ça. Quand on est riche, c'est qu'on aime les pauvres. Les belles toilettes sont la récompense de l'amour qu'on a pour la pauvreté.
L. BLOY,
53. - Dieu est charité, et puisqu'il aime ses créatures, pourquoi ne les aimerions-nous pas comme lui? Ce n'est pas cette espèce de bienveillance générale, c'est le mot
amour qui est écrit. Et nous de même, cet amour, est-ce qu'il ne servira à personne, seulement parce qu'il est grand, qui est en nous la même chose que la vie,
pour que nous le donnions à un autre et que nous sentions ce cœur entre nos bras qui s'éveille et ces yeux peu à peu qui nous reconnaissent avec une joie immense!
P. CLAUDEL
54. ... la conviction qu'on tient d'une expérience, comment la propager par des discours? Et comment surtout exprimer l'inexprimable? Mais ces questions ne se posent même pas au grand
mystique. Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante. Il ne s'empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. Seulement, ce n'est plus par
de simples discours qu'il la propagera. Car l'amour qui le consume n'est plus simplement l'amour d'un homme pour Dieu, c'est l'amour de Dieu
pour tous les hommes. À travers Dieu, il aime toute l'humanité d'un divin amour.
H. BERGSON
55. ... nous sommes nés pour tendre à la perfection de l'amour, d'un amour qui enveloppe réellement l'universalité des hommes, sans laisser place à la haine
contre aucun d'eux, et qui transforme réellement notre être, ce qui n'est possible à aucune technique sociale ni à aucun travail de rééducation, mais seulement au créateur de l'être; et ce qui
s'appelle : sainteté.
J. MARITAIN
- Proverbe (souvent iron.). L'amour du prochain commence par
soi-même.
2. [Sans coloration explicitement relig.] Le triomphe de l'amour et de la justice; une société sans amour; l'amour
d'autrui :
56. Un grand combat sera livré, et l'ange de la justice, et l'ange de l'amour combattront avec ceux qui se seront armés pour rétablir parmi les hommes le règne de la justice
et le règne de l'amour. Et beaucoup mourront dans ce combat, et leur nom restera sur la terre comme un rayon de la gloire de Dieu. C'est pourquoi, vous qui souffrez, prenez
courage, fortifiez votre cœur : car demain sera le jour de l'épreuve, le jour où chacun devra donner avec joie sa vie pour ses frères, et celui qui suivra, sera le jour de la délivrance.
F.-R. DE LAMENNAIS
57. Quant à la bonté générale, tant prônée aujourd'hui, elle indique davantage la haine des riches que l'amour des pauvres. Car la philanthropie moderne exprime trop souvent
une prétendue bienveillance avec les formes propres à la rage ou à l'envie.
A. COMTE
58. ... elle riait plus haut, en racontant plaisamment que son cousin l'avait convertie au grand saint Schopenhauer, qu'elle voulait rester fille afin de travailler à la délivrance
universelle; et c'était elle, en effet, le renoncement, l'amour des autres, la bonté épandue sur l'humanité mauvaise.
É. ZOLA
59. À force de se proclamer cynique et purgé de toute sentimentalité, le communisme de ces jeunes intellectuels reflète le désespoir dont il est issu. Il ne rappelle pas
l'amour profond, passionné, désintéressé, qui souleva Lénine, Trotsky, et qui fut, à sa manière, celui de notre jeune socialisme.
J.-R. BLOCH
60. ... ils apercevaient, sur le vitrage, l'affiche blanche, dont ils ne pouvaient détourner les yeux. Ainsi, pendant des semaines, il avait vécu, sans douter un seul jour du triomphe de la
justice, de la vérité humaine, de l'amour; non pas comme un illuminé qui souhaite un miracle, mais comme un physicien qui attend la conclusion d'une expérience
infaillible, - et tout s'écroulait... honte!
R. MARTIN DU GARD
61. Nous ignorons encore ce qu'est l'homme, mais il nous appartient de le créer. Et c'est cette création seule qui est notre jeunesse. D'où ce double sentiment caractéristique de l'homme
marxiste : un mépris total pour l'homme dégradé du monde bourgeois, un enthousiasme débordant pour l'homme nouveau qu'il veut réaliser. Son paradoxe étonnant c'est de mêler en lui également la
haine et l'amour, jusqu'au jour où l'amour triomphera. Le communisme c'est l'ordre et le marxiste trouve tout naturel de préférer l'ordre au désordre. Haïr le
désordre, aimer l'ordre, c'est son réflexe spontané et il comprend mal qu'on ne le comprenne pas. De cette haine et de cet amour, de ce désespoir et de cette espérance on
pourrait citer quotidiennement de multiples exemples.
J. LACROIX
62. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. La révolte prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier sans renoncer à vivre. Son
cri le plus pur, à chaque fois, fait se lever un être. Elle est donc amour et fécondité, ou elle n'est rien. La révolution sans honneur, la révolution du calcul qui, préférant un
homme abstrait à l'homme de chair, nie l'être autant de fois qu'il est nécessaire, met justement le ressentiment à la place de l'amour.
A. CAMUS
- En partic. L'amour de bienveillance; servir, traiter quelqu'un avec amour :
63. Les Sioux rangés sur la rive me saluoient du geste et de la voix; moi-même je les regardois en faisant des signes d'adieu, et priant les génies d'accorder leur faveur à cette nation
innocente. Nous continuâmes de nous donner des marques d'amour jusqu'au détour d'un promontoire qui me déroba la vue des pasteurs...
F.-R. DE CHATEAUBRIAND
64. Ce beau mystère de lumière, me prenant ému ainsi, harmonisa les orages de mon mystère intérieur. Un mot me vint à l'esprit : La délivrance de l'âme. Sa délivrance par la lumière de
science et d'amour, - et par amour j'entends toutes les puissances bienveillantes qui sont en nous, surtout la grande pitié.
J. MICHELET
65. ... il nous reste, après avoir écarté les mensonges des prêtres, à prendre la vie noblement, et à ne point nous déchirer nous-mêmes, et les autres par contagion, par des déclamations
tragiques. Et encore bien mieux, car tout se tient, contre les petits maux de la vie, ne point les raconter, les étaler ni les grossir. Être bon avec les autres et avec soi. Les aider à vivre,
s'aider soi-même à vivre, voilà la vraie charité. La bonté est joie. L'amour est joie.
ALAIN
66. ... l'invulnérabilité relative de l'inémotif le protège à l'excès contre le drame des événements et d'autrui. Il y perd en élan et en chaleur de sympathie, il y gagne en maîtrise de soi,
en ampleur de vue, en constance. Un degré de trop, il tourne à l'égoïsme et à la froideur. Mais l'amour spirituel que les théologiens appelaient de bienveillance n'est attaché à
aucune complexion particulière et trouve son chemin, ainsi que ses nuances, dans une voie comme dans l'autre.
E. MOUNIER
Par amour. Par pure générosité :
67. Eh quoi! Maître Jean, selon vous, rien ne se fait gratis au
monde, rien par amour? tout est payé? je vous crois; même les réquisitoires, même le zèle et le dévouement.
P.-L. COURIER
68. Tout ce que vous faites par devoir, avec des fronts ridés de crainte, je veux le faire par amour, en souriant d'amour, en souriant.
A. GIDE
Proverbe. Tout par amour, rien par
force :
69. On dit prov. tout par amour et rien par force, pour faire entendre que la douceur est de toutes les voies la meilleure pour réussir à quelque chose.
J.-F. ROLLAND
- Fam. La cote d'amour.
Bienveillance privilégiée; péj. faveur non basée sur le mérite :
70. Mais à côté de ces moqueries qui allaient au menu peuple, à la petite bourgeoisie, à la police, et au chauvinisme, de Belgique, il y avait un courant de très haute estime pour plusieurs
écrivains belges de langue française : Maeterlinck et Rodenbach in primis; puis ceux qui furent publiés au Mercure de France : Eeckhoud, Mockel, Hubert Krains, et d'autres. Il y avait même « la
cote d'amour » dans les milieux littéraires français d'avant-garde, en faveur des poètes et romanciers belges. Après Maeterlinck, Max Elskamp fut le poète belge par excellence,
pour les écrivains de la génération de Charles-Louis Philippe. Être Belge était alors une recommandation.
V. LARBAUD
71. La cote binette (périmé) ou la cote d'amour (périmé) [donnée par l'interrogateur] suivant le physique du malheureux appelé au tableau.
R. SMET
B. L'amour réalisant sa finalité sociale par l'intermédiaire d'une incarnation ou d'une symbolisation du lien social.
1. [Le souverain, objet ou sujet d'une relation d'amour pour les membres d'une communauté]. L'amour du prince :
72. Ainsi l'intérêt du Roi, la sûreté de sa couronne, et l'affection de ses sujets, sont autant de puissants motifs qui le pressent de consacrer les lois fondamentales du royaume : ajoutons
son amour pour ses peuples, son zèle pour le bien public, ...
MARAT
73. J'ai pu voir, après tant d'orages, la nation rendue à son
antique loyauté, se rallier comme une famille autour d'un père chéri; j'aurai vu les factions s'éteindre, tous les cœurs se réunir dans l'intérêt de la patrie, et toutes les volontés se confondre
dans le vœu du bonheur public, fondé sur la double base de l'amour du prince et du respect des lois.
V. DE JOUY
74. L'amour de nos rois, tel qu'il était chez les
Français, était un sentiment religieux, comme l'amour divin; c'était une sorte de culte qui élevait l'âme et pouvait, comme l'honneur, commander tous les sacrifices d'intérêt
personnel, de la vie même; c'est un tel sentiment qui peut servir de base à la société, mettre un lien commun entre les hommes du même pays.
MAINE DE BIRAN
75. La miséricorde, qui est la même chose que la clémence, fait l'amour des sujets qui est le plus puissant corps de garde à la personne du Prince.
V. HUGO
2. [La patrie (ou le pays), obj. ou suj. d'amour] L'amour de la patrie :
76. L'esprit militaire et l'amour de la patrie ont porté diverses nations au plus haut degré possible d'énergie; maintenant ces deux sources de dévouement existent à peine
chez les Allemands pris en masse.
G. DE STAËL
77. La vertu semble avoir des bornes. Cette grande hauteur, qu'ont
atteinte certaines âmes, paraît en quelque sorte mesurée. Caton et Washington montrent où peut s'élever le plus beau, le plus noble de tous les sentiments, c'est l'amour du pays
et de la liberté. Au-dessus on ne voit rien.
P.-L. COURIER
78. Adario, chef de la tribu de la Tortue, se lève : inaccessible à
la crainte, insensible à l'espérance, ce sachem se distingue par un ardent amour de la patrie : implacable ennemi des Européens qui avoient massacré son père, mais les abhorrant
encore plus comme tyrans de son pays, il parloit incessamment contre eux dans les conseils.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND
79. Le chant populaire, assurément, ne plaisait point à ses voisins.
Ils devinrent nerveux, agacés, et avaient l'air prêts à hurler comme des chiens qui entendent un orgue de Barbarie. Il s'en aperçut, ne s'arrêta plus. Parfois même il fredonnait les paroles [la
Marseillaise, 1792] : Amour sacré de la patrie, / Conduis, soutiens, nos bras vengeurs, / Liberté, liberté chérie, / Combats avec tes défenseurs!
G. DE MAUPASSANT
Vieilli. L'amour patriotique
:
80. Victime de l'amour patriotique, je vais donc servir d'exemple à ceux qui seraient jamais tentés de défendre les droits des nations. Peuple ingrat et frivole! Qui encense
tes tyrans et abandonne tes défenseurs, je me suis dévoué pour toi; ...
MARAT
81. Et tous, Allemands ou Français, chacun de votre côté,
pareillement dupes, vous avez cru de bonne foi que, pour vous seuls, cette guerre était une « guerre sainte »; et qu'il fallait, sans marchander, par amour patriotique, faire à «
l'honneur » de votre nation, au « triomphe de la Justice », le sacrifice de votre bonheur, de votre liberté, de votre vie!...
R. MARTIN DU GARD
3.
Par analogie [L'humanité, considérée comme communauté idéale] L'amour de l'humanité, (vieilli) l'amour humanitaire, l'amour des hommes
:
82. J.-J. Rousseau passe pour avoir eu Madame la comtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe ce terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un
jour, on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est
pas vrai; je suis très bonne Française et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples. - Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste et
cosmopolite du reste de votre personne. »
CHAMFORT
83. Nous devons toujours au peuple qui nous a protégés longtemps une
certaine reconnaissance; mais il n'y a plus de culte, plus d'enthousiasme. C'est maintenant plus que jamais que le patriotisme, avec les autres passions, doit se perdre, comme les ruisseaux dans
l'océan, dans la grande passion de l'humanité. Voulez-vous déterminer votre choix? Cherchez les sentiments qui n'ont rien de personnel, rien d'intéressé, ceux surtout qui n'ont pas pour objet un
individu, une classe, ceux qui ont le plus grand caractère de généralité. Plus on abstrait, plus on épure. Je n'ose pas vous conseiller de remonter plus haut que
l'amour des hommes.
J. MICHELET
84. Le docteur (...) reprit : - L'amour de
l'humanité est un état pathologique d'origine sexuelle qui se produit fréquemment à l'époque de la puberté chez les intellectuels timides : le phosphore en excès dans l'organisme doit s'éliminer
d'une façon quelconque.
A. MAUROIS
85. Que sera-ce, si l'on va aux états d'âme, si l'on compare entre eux ces deux sentiments, attachement à la patrie, amour de l'humanité? Qui ne voit que la cohésion sociale
est due, en grand partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit? Tel est
l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens,
tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis.
H. BERGSON
86. Il se contraignait à secourir ceux qu'il aimait le moins. Au
total, cet homme qui n'avait pas le droit d'aimer la femme semblait avoir reporté sur l'humanité entière ses possibilités de dévouement, d'amour et de sacrifice. Et, assistant à
cette bataille, à ce véritable combat pour la sainteté, Decraemer en venait à se demander si véritablement le célibat du prêtre n'est pas une bonne chose, si ce n'est pas précisément ce suprême
sacrifice qui permet de consacrer à tous les hommes un besoin de tendresse inemployé.
M. VAN DER MEERSCH
III. L'amour comme lien affectif entre des personnes : l'amour entre les membres d'une même famille naturelle ou entre conjoints.
A. [Les différents types d'amour] L'amour maternel, paternel, filial, fraternel :
87. Il paraît qu'il y a dans le cerveau des femmes une case de moins, et, dans leur cœur, une fibre de plus que chez les hommes. Il fallait une organisation particulière, pour les rendre
capables de supporter, soigner, caresser des enfants. C'est à l'amour maternel que la nature a confié la conservation de tous les êtres; et, pour assurer aux mères leur
récompense, elle l'a mise dans les plaisirs; et même dans les peines attachées à ce délicieux sentiment.
CHAMFORT
88. Je trouve à ce sujet, dans l'Odyssée d'Homère, un sentiment bien
touchant, c'est lorsque Télémaque compte au nombre de ses calamités celle de n'avoir point de frère. Le poëte, sensible et profond dans la connaissance de la nature, en mettant cette plainte dans
la bouche du fils d'Ulysse, qui cherchait partout son père, avait sans doute senti que l'amour fraternel était une consonnance de l'amour filial. En effet, les
enfants ont des ressemblances avec leurs pères et leurs mères, de telle sorte que les garçons, pour l'ordinaire, en ont plus avec leurs mères, et les filles avec leurs pères : la nature les
croisant d'un sexe à l'autre pour en augmenter l'affection.
J.-H. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
89. ... elle n'a jamais voulu ni voir ni connaître celui qui devait
lui donner la plus sainte et la plus forte des affections, l'amour d'une mère pour son enfant.
F. SOULIÉ
90. Quel amour que celui d'une mère!... Comme tout
l'inquiète! Elle n'a plus de repos ni jour ni nuit; le moindre cri l'éveille; elle se lève, elle console le pauvre petit être; elle chante, elle rit; elle le berce et le promène; à sa moindre
maladie, elle le veille; et cela des semaines et des mois, sans jamais se lasser. Ah! combien ce spectacle vous rend meilleur et vous fait encore mieux aimer les parents!
ERCKMANN-CHATRIAN
91. Dieu lui-même penché sur l'amour éternelle
La revoyait fleurir dans de pauvres hameaux.
Père il considérait une amour maternelle
Doublement partagée entre deux beaux jumeaux.
Dieu lui-même penché sur l'amour solennelle
La regardait fleurir au fin fond des hameaux.
Père il considérait une amour fraternelle
Déjà communiquée entre deux beaux jumeaux.
Ch. PÉGUY
92. Les liens de parenté sont bien plus forts. Ici la nature soutient le serment. Entre la mère et l'enfant l'union est d'abord intime; la séparation, après cette vie rigoureusement commune,
n'est jamais que d'apparence; l'amour maternel est le plus éminent des sentiments égoïstes, ou, pour dire autrement, le plus énergique des sentiments altruistes, comme Comte l'a
montré; ...
ALAIN
93. On ne conçoit pas un bien sans un toit, un toit sans un foyer,
un foyer sans une famille, une famille sans entente, union, amour... Toute la concordance des êtres et des choses est là.
J. DE PESQUIDOUX
94. On parle de l'amour paternel ou maternel. Peuh!
Qu'est-ce que ce mot « amour »? Bien trop ampoulé et étriqué à la fois pour dire le don total, détaillé, raffiné, dans chaque fibre et dans la masse, du cœur qu'un homme a fait
mol et large, exprès pour que puissent s'y étirer à l'aise tous les mouvements de son enfant.
J. MALÈGUE
95. ... la paternité n'apparaît plus comme une simple fonction
biologique plus ou moins renforcée par l'histoire, mais comme la suprême instance éducatrice. Elle symbolise la transcendance des valeurs, tandis que la maternité apprend à unir l'instinct le
plus primitif à l'amour le plus désintéressé. (La chaleur affective dont les parents, normalement, entourent le jeune enfant, ce dévouement total, cette présence toujours
favorable qu'ils tournent vers lui, resteront une des grandes nostalgies de l'âge adulte, ...)
E. MOUNIER
- Par ext. [L'amour fraternel considéré comme
modèle du lien entre les hommes] :
96. Dans la cité de Dieu chacun aime ses frères comme soi-même, et c'est pourquoi nul n'est délaissé, nul n'y souffre, s'il est un remède à ses souffrances. Dans la cité de Dieu, tous sont
égaux, aucun ne domine; car la justice seule y règne avec l'amour.
F.-R. DE LAMENNAIS
B. [Les personnes dans leur situation à l'égard de l'amour] :
97. Si la femme a pour son enfant des expressions si divines,
qu'étaient-ce que les paroles de la mère d'un Dieu, d'une mère qui avait vu mourir son fils sur la croix et qui le retrouvait vivant d'une vie éternelle? Que devaient être aussi les paroles d'un
fils et d'un Dieu? Quel amour filial, quels embrassements maternels! Un seul moment d'une pareille félicité suffirait pour anéantir dans l'excès du bonheur tous les mondes.
F.-R. DE CHATEAUBRIAND
98. Je n'avais jamais senti qu'une passion dans mon petit être, l'amour filial; cette passion se continuait en moi; ma véritable mère y répondait tantôt trop, tantôt pas
assez, (...) J'avais besoin d'une mère sage, et je commençais à comprendre que l'amour maternel, pour être un refuge, ne doit pas être une passion jalouse.
G. SAND
99. ... j'ai le sentiment qu'il y a dans ce visage quelque chose d'à
part que la mort ne touchera pas. Et mon amour pour ma mère, qui a été le seul stable des amours de ma vie, est d'ailleurs si affranchi de tout lien matériel,
qu'il me donne presque confiance, à lui seul, en une indestructible chose, qui serait l'âme; ...
P. LOTI
100. Mais tout se passait, chez les Frontenac, comme s'il y avait eu
communication entre l'amour des frères et celui de la mère, ou comme si ces deux amours avaient eu une source unique. Jean-Louis éprouvait, à l'égard de ses
cadets, et même pour José que l'Afrique attirait, la sollicitude inquiète et presque angoissée de leur mère.
F. MAURIAC
101. J'estime que rien ne peut fausser davantage le caractère d'un enfant que de lui imposer un respect de commande pour des parents, dès que ceux-ci ne sont pas respectables. Ma mère, par
contre, méritait ma vénération, et mon amour pour elle était presque de la dévotion. Quant à mon père, je cessai vite de le prendre au sérieux.
A. GIDE
102. On dirait que Corneille a poursuivi avec une sorte de rancune
certaines images du dessèchement par la vieillesse, de la sclérose du cœur. L'animalité même de l'amour maternel n'est pas épargnée. C'est dans une de ses tragédies les moins
bonnes, dans Théodore, qu'il dessine ce personnage admirable de Marcelle, la vieille et méchante reine qui a une fille qu'elle aime par-dessus tout, qu'elle couve comme une poule.
R. BRASILLACH
103. Bénard était doux, affable, sensible; avec cela, premier
partout. Et puis, sa maman se privait pour lui. Nos mères ne fréquentaient pas cette couturière mais elles nous parlaient d'elle souvent pour nous faire mesurer la grandeur de
l'amour maternel; nous ne pensions qu'à Bénard : il était le flambeau, la joie de cette malheureuse; nous mesurions la grandeur de l'amour filial; tout le monde,
pour finir, s'attendrissait sur ces bons pauvres. Pourtant, cela n'eût pas suffi : la vérité, c'est que Bénard ne vivait qu'à demi; ...
J.-P. SARTRE
C. [Avec, le cas
échéant, la suggestion d'un lien physique] L'amour conjugal, mariage d'amour :
104. De l'amour dans le mariage. C'est dans le
mariage que la sensibilité est un devoir : dans toute autre relation la vertu peut suffire; mais dans celle où les destinées sont entrelacées, où la même impulsion sert pour ainsi dire aux
battements de deux cœurs, il semble qu'une affection profonde est presque un lien nécessaire. La légèreté des mœurs a introduit tant de chagrins entre les époux, que les moralistes du dernier
siècle s'étaient accoutumés à rapporter toutes les jouissances du cœur à l'amour paternel et maternel, et finissaient presque par ne considérer le mariage que comme la condition
requise pour jouir d'avoir des enfants. Cela est faux en morale, et plus faux encore en bonheur.
G. DE STAËL
105. Aux témoignages si fréquens qu'ils se donnaient de leur mutuelle tendresse, tous deux mêlaient de douces exhortations à avancer ensemble sur le chemin de la perfection : cette sainte
émulation les fortifiait et les maintenait dans le service de Dieu : ils savaient ainsi puiser, au sein de l'ardent amour qui les unissait, le sentiment et le charme de
l'amour suprême. Le caractère grave et pur de leur affection se révélait surtout par la touchante habitude qu'ils conservèrent toujours de s'appeler frère et sœur, même après
leur mariage, comme pour perpétuer le souvenir de leur enfance passée ensemble, ...
Ch. DE MONTALEMBERT
106. On n'a jamais vérifié le rôle que joue l'amour
physique dans l'attachement des femmes honnêtes pour leurs maris. Quelquefois, les maris le savent si bien que pour punir leurs épouses, ils restent quelques jours sans coucher avec elle et les
font ainsi - et cela sans un reproche, sans une parole - venir à résipiscence.
E. et J. DE GONCOURT
107. JUPITER. - Jusqu'au ciel se déguise, à l'heure où nous sommes.
ALCMÈNE. - Homme peu perspicace, si tu crois que la nuit est le jour masqué, la lune un faux soleil, si tu crois que l'amour d'une épouse peut se déguiser en
amour du plaisir.
JUPITER. - L'amour d'une épouse ressemble au devoir. Le devoir à la contrainte. La contrainte tue le désir.
ALCMÈNE. - Tu dis? Quel nom as-tu prononcé là?
JUPITER. - Celui d'un demi-dieu, celui du désir.
ALCMÈNE. - Nous n'aimons ici que les dieux complets. Nous laissons les demi-dieux aux demi-jeunes filles et aux demi-épouses.
JUPITER. - Te voilà impie, maintenant?
ALCMÈNE. - Je le suis parfois plus encore, car je me réjouis qu'il n'y ait pas dans l'Olympe un dieu de l'amour conjugal. Je me réjouis d'être une créature que les dieux
n'ont pas prévue...
J. GIRAUDOUX
108. À la fin de leur vie, les amants illustres qui coururent les
routes, George Sand et Musset, et Chopin, Liszt, Mme d'Agoult, peut-être ne se souvenaient-ils plus que de chamailleries dans de tristes chambres d'hôtel. Combien peu
d'amours trouvent en elles-mêmes assez de force pour demeurer sédentaires! Et c'est pourquoi l'amour conjugal, qui persiste à travers mille vicissitudes, me
paraît être le plus beau des miracles, quoiqu'il en soit le plus commun. Après beaucoup d'années, avoir encore tant de choses à se dire, des plus futiles aux plus graves, sans choix, sans désir
d'étonner ni d'être admiré, quelle merveille!
F. MAURIAC
109. Georges encore... aurait des excuses... après vingt ans de
mariage l'amour change de forme. Il existe une parenté entre époux qui rendrait certaines choses très gênantes, très indécentes, presque impossibles.
J. COCTEAU
110. Bien qu'elle eût lu quelques romans, qu'elle allât quelquefois
au théâtre voir des pièces assez risquées, elle ne s'était jamais imaginé le moins du monde les émois et les transports qui peuvent jeter une femme dans les bras d'un homme. Ce qu'elle
connaissait de l'amour était exclusivement le rapport de mari et femme. Or, ce rapport ne comportait absolument rien de passionnel, bien qu'il engendrât la plus grande émotion et
qu'il se développât en une affection sans limites et sans fin.
P. DRIEU LA ROCHELLE