ARRACHER, verbe trans.
I. Emploi trans.
A. [Le suj. désigne gén. une
pers., une manifestation de la pers., parfois une force naturelle ou mécanique; un obj. secondaire, la prép. à précise, quand il y a lieu, la pers. à qui on a enlevé qqc.]
Arracher qqc. (à qqn).
1. [L'obj. désigne une chose concr.]
a) [Une plante qui tient au sol par ses racines ou ses tubercules, etc.] Déraciner, extraire du sol
avec effort. Arracher les pommes de terre, arracher les vignes. Anton. planter :
1. Un jour il voyait des gens du pays très occupés à
arracher des orties. Il regarda ce tas de plantes déracinées et déjà desséchées, et dit :
c'est mort.
HUGO
2. D'autres fois, il s'apaisait dans son cher jardinage.
Jardinage simple, sorte de bricolage horticole, qui consistait à arracher les mauvaises herbes, tailler les arbrisseaux, tondre la pelouse, tailler le
bois. Toujours détruire, comme dans sa vie. Il est vrai que, lorsqu'on surprend au travail des jardiniers professionnels, ils sont toujours eux aussi en train de couper quelque
chose.
MONTHERLANT
P. métaph., emploi abs.
:
3. Imitez le temps; il détruit tout avec lenteur;
il mine, il use, il déracine, il détache et n'arrache pas.
JOUBERT
Pop. En arracher.
Avoir des difficultés.
b) P. anal. [Une partie du corps munie d'une racine ou de tout autre élément qui l'attache]
Extraire avec effort de son logement naturel. Arracher une dent à qqn.
P. métaph. [La
pers. à qui on arrache est un avare qui donne difficilement] Je lui ai arraché une dent.
Par euphémisme, vieilli.
Arracher la vie à qqn. Le faire périr de mort violente.
Détacher violemment. La machine lui a arraché un bras;
arracher qqc. des mains de qqn.
Syntagmes (emplois
métaph.)
Arracher le cœur à qqn. Lui causer une grande
peine :
4. Son orgueil la cloua sur sa chaise. Elle voulut
paraître calme, ne pas montrer au jeune homme, qui sifflait avec tranquillité, à quel point son départ lui arrachait le cœur.
ZOLA
Arracher à qqn une épine du pied. Tirer
(quelqu'un, soi-même) d'affaire, d'embarras.
Il vaut mieux laisser son enfant morveux que de lui
arracher le nez. Il vaut mieux supporter un petit mal que d'y remédier par de grands moyens qui peuvent en causer un plus grand.
Vous lui arracheriez plutôt la vie. Sous-entendu
: que d'obtenir qu'il fasse telle chose qui lui inspire une répugnance extrême.
Arracher les yeux à qqn. Être à la vue de
quelqu'un dans une irritation telle qu'on est capable d'en venir aux mains :
5.
Pauvre Gilbert, quel supplice, n'est-ce pas? Vous avez peur qu'on ne vous rencontre ainsi? Savez-vous que je ne suis pas rassurée non plus!
Si l'une de vos belles connaissances nous voit, elle va m'arracher les yeux. Cette main qui s'appuyait sur le bras de Gilbert, ce corps que le hasard de la marche
pressait parfois contre lui, et ces longues plaisanteries... quel énervement!
ARLAND
Rem. Cette expr. s'emploie dans le même sens avec la tournure pronom. S'arracher les yeux.
P. anal. Arracher le
masque à qqn. Démystifier, faire connaître au grand jour les intentions de quelqu'un :
6. «
C'est faux! hurla Paulus, cette danseuse ment! J'arracherai son masque et le ferai connaître! ... »
BOUILHET
Arracher à qqn le pain de la bouche. Lui enlever
son gagne-pain.
c) P. ext. [L'obj. désigne une chose concr. fixée, attachée ou adhérant à qqc.] Enlever avec
effort ou avec violence. Arracher une affiche, une page, un fil :
7. L'hôtel du Nord fut livré à un entrepreneur de
démolitions. Des ouvriers arrachèrent les fils électriques, les tuyaux de plomb, enlevèrent les portes, les fenêtres, démantibulèrent la maison pièce par pièce,
comme une machine, et entassèrent le matériel dans la cour de Latouche.
DABIT
Spécialement
CHAPELLERIE. Arracher
le jarre. Arracher le poil luisant sur les peaux de castor.
GÉOMORPHOLOGIE. [Le suj. désigne le courant d'un
fleuve] Arracher des fragments de roche. Provoquer une érosion rapide.
GRAV. Enlever des parties déjà gravées d'une
plaque de cuivre afin de modifier l'ensemble de celle-ci.
SP., au fig. HALTÉROPHILIE.
Faire le mouvement de l'arraché avec un poids . SP. CYCLISTE. Arracher une côte. La grimper rapidement et avec une remarquable énergie.
Rem. S'il y a une indication de lieu, elle est gén. introduite par la prép. de. Arracher un clou
d'une muraille.
P. métaph. Arracher une
opinion de l'esprit, de la tête de quelqu'un :
8. Caderousse regarda le jeune homme comme pour
arracher la vérité du fond de son cœur. Mais Andrea tira une boîte à cigares de sa poche, y prit un havane, l'alluma tranquillement et commença à le fumer sans
affectation.
A. DUMAS
2. [L'obj. désigne une chose plus ou moins abstr.]
a) [Une faveur, une chose difficile à obtenir] Obtenir péniblement, après un gros effort personnel.
Arracher à qqn une somme d'argent, un aveu :
9. Les peuples murmuraient de ce qu'on leur
arrachait ainsi leur argent, qui ne profitait jamais à la chose publique.
BARANTE
10. On ne pouvait lui arracher une
parole. Ses lèvres amincies et serrées semblaient arrêter au passage des plaintes et des reproches.
A. FRANCE
SYNT. Arracher à qqn une approbation, une audience, une concession, une parole, une promesse, un secret.
b) [Le suj. désigne un événement très intense, gén. pénible; l'obj. désigne une réaction
intense de la sensibilité] Obtenir péniblement grâce à la charge affective de l'événement. Arracher à qqn une exclamation, des larmes, un sourire :
11. La garde a tiré
Le sang a coulé...
Mille blessés, cent morts,
Est-ce assez?
L'affreux souvenir nous arrache
Des cris d'horreur.
LARBAUD
SYNT. Arracher à qqn une exclamation, une plainte, des soupirs.
B. Arracher qqn à
qqn, à qqc. Ôter en usant de violence.
1. [Avec un obj. secondaire précisant la pers. qui tient à la pers. arrachée] Arracher un enfant à
sa mère :
12. Si elle avait vraiment voulu... Jacques Malessert...
elle le savait bien : il lui aurait suffi de profiter du trouble que sa seule présence mettait au cœur du jeune homme; elle aurait pu le tenir en son pouvoir, le dominer, le lier à elle par les
liens de la chair, et alors, en dépit de tout, l'entraîner, l'arracher à Irène... Elle haussa les épaules : il n'en valait pas la peine.
DANIEL-ROPS
[Emploi de la prép.
de]
a) [Lorsque l'obj. secondaire désigne non pas la pers. mais la partie (le lieu) de son être qui tient
la pers. qu'on lui enlève, la prép. est d'ordinaire de] Arracher un enfant des (d'entre les) bras de sa mère. (Au fig.) arracher un peuple des mains de l'occupant, de
l'envahisseur :
13. ... le faux nègre s'était dit : « il est évident que
Rocambole est mort, qu'il a livré le secret de sir Williams, et que, à cette heure, le comte et Baccarat ont pris toutes les mesures nécessaires pour sauver monsieur de Kergaz et
l'arracher des griffes de son frère. (...) »
PONSON DU TERRAIL
b) [Il en est de même lorsque l'obj. secondaire désigne un lieu] :
14. LE BARON.
Fais-les avancer. Valentin se met à la tête de sa troupe, qui s'avance en bon ordre, et vient se ranger en bataille. Mes amis, le
chef des brigands qui désolent l'Allemagne, Roger ose me menacer; il prétend arracher de ces lieux une victime que vous avez soustraite à sa fureur, mais je compte sur
votre courage pour défendre une aussi juste cause.
GUILBERT DE PIXERÉCOURT
15. ... La cloche avant le jour m'arrache
de mon lit :
Je crois entendre, au son de sa voix balancée
L'ange qui du sommeil appelle ma pensée,
Et lui donne à porter son fardeau pour le jour;
LAMARTINE
16. Et c'était lui, maintenant, dont l'accent frémissait,
tandis que Jacques, ramassé dans son fauteuil, tendait vers le poêle une figure farouche qui semblait dire : « Père va mourir, tu viens m'arracher d'ici, c'est bien, je
partirai, mais qu'on ne m'en demande pas plus. »
R. MARTIN DU GARD
2. [Avec un obj. secondaire exprimant une chose abstr.] Détacher en usant de violence ou d'énergie (et parfois) délivrer quelqu'un de quelque chose.
a) [L'obj. secondaire désigne une occupation] Arracher qqn à ses études :
17. Il semble qu'un rêve soit dissipé, qu'une captivité
magique arrive à son terme, que le chant du coq fasse évaporer les fantômes, dont nous entouraient la solitude et le crépuscule. Le milieu du jour nous plonge dans la réalité, et nous
arrache à la contemplation. Cela est bon aussi à son heure. « Travaille pendant qu'il fait jour. »
AMIEL
b) [Il désigne une chose qui pèse sur un être comme une fatalité] Arracher l'homme à la tyrannie, à la solitude, à la torpeur morale :
18. « ... Je veux arracher mes frères
à la misère et à l'ignorance! Je veux les instruire, les amener à connaître et à aimer Dieu! Je veux être missionnaire! »
VERNE
19. On peut imaginer beaucoup de moyens propres à donner
satisfaction aux désirs les plus pressants des classes malheureuses. Pendant longtemps ces projets d'amélioration furent inspirés par un esprit conservateur, féodal ou catholique; on voulait,
disaient les inventeurs, arracher les masses à l'influence des radicaux.
SOREL
20. Ma vie
dans les premiers instants
n'avait qu'une idée; l'arracher
à la mort, l'enlever, morte, à la mort, la forcer à revivre quelque part, en moi, en nous, la ressusciter, par force, au moyen d'une concentration de moi-même. Elle était
peut-être morte pour d'autres; pas pour moi.
JOUVE
II. Emplois pronom.
S'arracher.
A. [Le pronom exprime la
pers., obj. second. indir. (me, se, etc.; à moi, à soi, etc.)] S'arracher qqn ou qqc.
1. [Le pronom a valeur de réciprocité; l'obj. dir. désigne une pers. ou une chose
très appréciées] S'arracher qqc. ou qqn. Le rechercher avec empressement comme si on avait à se le disputer les uns aux autres :
21. ZOÉ.
Oui, mais comment avoir ces quatre voix? On a tant de peine à en avoir une!
CÉSARINE. Tout le monde se
les arrache.
BERNARDET. Souvent la même sert à deux ou
trois ministères successifs.
SCRIBE
22. Ce qui offensait Antoine, c'était l'abominable
imagerie religieuse que les pèlerins s'arrachaient, ces Jésus de bonbonnière, la poitrine ouverte, montrant leur cœur sanguinolent.
ZOLA
Loc. proverbiale, fam.
[L'obj. dir. désigne une pers. très recherchée pour toutes les formes de la vie de société] On se l'arrache.
2. [Le pronom a valeur de réfléchi; l'obj. dir. exprime une chose concr. ou abstr.;
supra I A] S'arracher une épine du pied, etc.
Loc. proverbiales
Au sens littér. ou p. métaph.
S'arracher les cheveux. Être au comble du désespoir :
23. John prévit que leur ivresse allait bientôt amener des
scènes terribles. On ne pouvait compter sur le capitaine pour les retenir. Le misérable s'arrachait les cheveux et se tordait les bras. Il ne pensait qu'à sa cargaison
qui n'était pas assurée.
VERNE
S'arracher les yeux.
a) S'irriter :
24. Sous l'Empire, les personnes d'opinions contraires
pouvaient se voir sans s'arracher les yeux...
Mme DE CHATEAUBRIAND
b) Éprouver de la difficulté à déchiffrer un texte mal écrit ou mal imprimé.
S'arracher les yeux de la tête. Se priver d'un
être précieux :
25. Je me suis arraché les yeux de la
tête en me privant de mes vieux conseillers.
VITET
B. [Le pronom exprime l'obj. dir.]
1. Emploi passif :
26. Les plumes d'un oiseau mort
s'arrachent difficilement.
Lar. 19e, 1866.
2. Emploi réfléchi
27. Vois :
je l'ai fait emplir de reliques, ma chère;
Puis je vais l'envoyer à Neubourg, à mon père;
Il sera très content!
(Elle rêve un instant, puis s'arrache vivement à sa rêverie. À
part.)
Je ne veux pas penser!
Ce que j'ai dans l'esprit, je voudrais le chasser.
HUGO
28. Gemon, crie, tentant de s'arracher à
son étreinte.
Mais père, tu vois bien qu'ils l'emmènent! Père, ne laisse pas ces hommes l'emmener!
ANOUILH