ASSUJETTIR, verbe trans.
Imposer quelque chose soit en obligeant ou en contraignant, soit simplement en assurant l'immobilité et la stabilité de
l'objet.
I. [L'idée d'obligation domine]
A. [Le suj. désigne une pers. ou un
groupe de pers.] Avec soumission aliénante, le plus souvent pénible.
1. [Le compl. désigne un pays ou un peuple] :
1. Aucune des classes [de la société européenne] n'a pu
vaincre ni assujétir les autres; la lutte, au lieu de devenir un principe d'immobilité, a été une cause de progrès; ...
GUIZOT
2. « Alexandre à Persépolis, sur son trône d'or, au milieu
de ses quatre cents femmes, de ses gitons et des rois prosternés, cet Alexandre qu'on salue alors vrai fils de Jupiter, ne connaît pas les joies du jeune guerrier qui tranchait le nœud gordien,
s'élançait le premier dans la bataille ou mesurait, de l'œil d'un aigle, l'empire qu'il lui fallait assujettir. »
ARLAND
a) De même. [Avec un compl. indir. d'obj. second.] Assujettir qqn à qqc. ou qqn. Assujettir un peuple à un autre, à une influence :
3. S'il y avait en face l'une de l'autre deux races
d'hommes, l'une civilisée, l'autre incivilisable, la seule politique devrait être d'anéantir la race incivilisable, ou de l'assujettir rigoureusement à
l'autre.
RENAN
b) De même. Emploi pronom. [Avec valeur d'obj. second. du pron.] S'assujettir un peuple, un groupe social, une province :
4. Un groupe [social] ne peut se défendre contre
un autre groupe ou se l'assujettir qu'à condition d'agir avec ensemble.
DURKHEIM
2. [Le compl. désigne une pers.] Assujettir une personne. L'accaparer, la priver de, ou limiter sa liberté :
5. Madame Gérard, triomphante, exaltée
d'avoir conquis et assujetti Madame Baudouin, trouva sa fille dans les larmes.
DURANTY
Fréq. [Avec un compl.
indir. d'obj. second.] Assujettir une pers. à qqc. :
6. Elle croyait deviner, sous chaque parole d'Albert, les
vues étroites et despotiques du mari qui entend borner sa femme à lui-même, l'assujettir à ses goûts, la cacher au monde.
CHARDONNE
SYNT. Fig. Assujettir le Saint-Esprit à ses heures, ou à la forme pronom. de l'obj. second. s'assujettir un homme, une femme, ou inv. assujettir son cœur à une femme, à un homme.
3. Rare. [Le compl. désigne un animal] Synon. domestiquer. L'homme
assujettit et adapte la bête (PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1932, p. 133).
4. P. anal. [L'obj. désigne une chose abstr.] Assujettir le monde, la terre. Diriger,
dominer les éléments naturels.
Rem. Inversement, on rencontre des expr. illustrant la condition philos. de l'homme : l'homme est
assujetti au temps, aux maux inévitables, etc.
De même. S'assujettir qqc.
:
7. En revanche, ce nain, en cheminant toujours et en
accumulant son travail, fait le tour de son globe, escalade les plus hauts sommets, construit la science, s'assujettit par la pensée l'espace et le temps, réalise des choses
colossales, et maîtrise les éléments et les forces de cette même planète, pour laquelle il n'est qu'un point imperceptible.
AMIEL
B. [Le suj. désigne indifféremment qqn ou
qqc. qui contraint] Avec simple obéissance à la loi (physique ou morale) commune ou aux conventions sociales. Assujettir qqn ou qqc. à qqc. (ou
à suivi de l'inf.). Cf. se plier, se conformer (à).
1. [L'obj. désigne une pers., un groupe soc., ou un corps de métier] Synon. de
astreindre. Assujettir qqn à un exercice journalier, à un travail, à une corvée :
8. (651). La loi assujettit les
propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention.
Code civil, 1804, p. 119.
9. Ces fonctions nouvelles qui vous
assujettiront sans relâche vous ont donc fait oublier mes montagnes et la promesse que vous m'aviez faite?
SENANCOUR
P. anal. [L'obj. désigne
une chose concr.] :
10. Le gérant (directeur de la publication) qui s'apprête
à faire paraître un journal ou une revue doit accomplir un certain nombre de formalités auxquelles est assujettie la publication d'un périodique.
G. et H. COSTON
Rem. On rencontre également des expr. du type ,,la prose (...) assujettit (...) la parole écrite aux seules règles d'une grammaire...`` (OZANAM, Essai sur la philos. de Dante, 1838, p. 28).
2. DR. (impôts). Assujettir qqn (pers. ou groupe soc. ou ethnique) à un (l')
impôt, à une redevance, à un tribut.
3. Forme pronom. de l'obj. premier Se plier. S'assujettir à une autorité, un
devoir, un exercice, une loi, une règle. Se conformer, suivre à la lettre. S'assujettir à une convention, une méthode, un plan; s'assujettir à faire qqc. P. anal., dans la lang. abstr. :
11. ... c'est que la nature ne
s'assujettit point aux règles logiques qui président à la coordination systématique de nos idées.
COURNOT
II. [L'idée d'immobilité, de stabilité
domine]
A. Assujettir un objet concret.
Le caler, l'attacher :
12. Le hublot resté ouvert vint battre soudain contre la
paroi, comme si le navire eût viré brusquement; et, en me retournant pour l'assujettir, je vis que le ciel avait pâli légèrement au ras de la mer.
GRACQ
SYNT. Assujettir une étiquette sur une bouteille, une fenêtre, ses lunettes, une porte, une table, un volet. De même (avec un pron. obj. second.) s'assujettir un chapeau sur la tête avec une ficelle.
P. anal.,
rare. [L'obj. désigne une pers.] :
13.
Je m'en fais une fête, dit la marquise en s'assujettissant doucement sur sa causeuse, comme quelqu'un qui se met à l'aise
pour mieux jouir d'une circonstance agréable.
O. FEUILLET
B. MÉD. VÉTÉR. Assujettir un
animal. Le contenir dans la position la plus favorable pour l'opérer, le panser ou faciliter la guérison de quelque partie malade (cf. assujetti ex. 5).
MÉD. Assujettir un
membre malade. Le maintenir au moyen d'instruments ou d'objets rudimentaires :
14. Leur conduite m'a paru un peu mieux raisonnée dans le
traitement des fractures; ils mettent les bouts des os fracturés en contact, et les y maintiennent par un bandage, en assujettissant le membre dans une écorce d'arbre qui
l'emboîte par le moyen de lisières de peau : le malade garde le repos jusqu'à la parfaite consolidation des parties.
Voyage de La Pérouse
C. P. anal. [Le suj. désigne une
chose] Assujettir qqn. Synon. attacher, retenir prisonnier :
15. Quand Jean Valjean fut seul avec Javert, il défit la
corde qui assujettissait le prisonnier par le milieu du corps, et dont le nœud était sous la table.
HUGO