Dans le passage de la phrase à l’énoncé, l’énonciateur manifeste nécessairement son attitude à l’égard de ce contenu :
doute (Amine part-il ?),
certitude (Amine part.),
volonté (Qu'Amine parte !)
ou émotion (Amine part !).
Cette attitude spécifique, trace de son engagement dans l’énoncé peut effectivement varier alors même que le contenu notionnel reste inchangé. La notion de modalité regroupe ces diverses variations. Quatre modalité sont ainsi distinguées :
assertive (énoncé donné pour être vrai),
interrogative (mise en débat du contenu de l’énoncé),
jussive (exécution requise du contenu de l’énoncé),
exclamative (réaction affective face à la situation considérée).
Toute phrase est nécessairement affectée d’une modalité. Comme on le voit, la phrase négative ne constitue pas une modalité. Susceptible de se combiner avec les quatre modalités, elle doit donc être considérer comme une variante des quatre autres types de phrase. La notion de modalité est liée à l’énonciation : elle témoigne de l’ancrage de l’énoncé dans une situation concrète d’énonciation.
I. MODALITE ASSERTIVE
Ex : Amine part en voyage.
Ce type d’énoncé présente le contenu propositionnel comme vrai pour l’énonciateur, en vertu d’un des principes de la communication normale qui veut que le locuteur parle sincèrement (loi de sincérité). Ainsi tout énoncé assertif implique une autre assertion : dire Amine part, implique je crois vrai que... Il est à noter que la phrase assertive est considérée, dans les descriptions grammaticales comme phrase canonique.
A. MARQUE PROSODIQUE : L’INTONATION
Parmi les divers éléments à retenir pour la définition d’une phrase, on rappelle l’importance de la courbe mélodique comprise entre deux pauses. Cette intonation comporte une valeur discriminante puisqu’elle vraie selon la modalité de la phrase.
1. Intonation circonflexe
La phrase se caractérise par une mélodie d’abord montante, puis doucement descendante, le point le plus bas marquant la fin de l’énoncé. La première partie de la phrase s’appelle la protase, le point culminant s’appelle l’acmé, et la phase descendante s’appelle l’apodose. Les notations typographiques de cette inflexion sont le point final, ou les points de suspension.
2. Cas particuliers
Ce mouvement cesse d’être aussi net dès lors que l’on a affaire à des phrases complexes : c’est le cas des périodes, où protase et apodose se subdivisent souvent, formant ainsi, par exemple, l’idéal classique de la période quaternaire.
Ex : La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite (ä ) est celle de ce fier et fougueux animal (æ ) qui partage avec lui les fatigues des guerres (ä ) et la gloire des combats (æ ).
C’est encore le cas lorsque est inséré dans la phrase un élément relevant d’un autre niveau syntaxique (incises, appositions, apostrophes : prononcés sur une ligne plane.).
Ex : Amine, m’a-t-on dit, partira demain. (ä à æ ).
B. MARQUES MORPHO-SYNTAXIQUES
1. Ordre des mots
Si l’on excepte les fonctions périphériques (appositions, apostrophes, compléments circonstanciels) qui ne sont pas nécessaires à la cohérence syntaxique, la phrase assertive se présente régulièrement selon le schéma suivant : sujet, verbe, complément. Cet ordre syntaxique peut se trouver modifié :
A des fins d’expressivité. Ex : Cette histoire, je la connais.
Pour des raisons stylistiques. Ex : Dans la plaine naît un bruit.
En raison d’une rupture de niveau syntaxique, cas de l’incise notamment. Ex : Amine, m’a-t-on dit, partira demain.
Une exception de taille concerne certains pronoms personnels compléments qui, conjoints au verbe, imposent l’ordre : sujet, compléments, verbe. Ex : Amine la leur raconte.
2. Les repères de l’actualisation
Il est besoin que soient précisés les conditions de vérité de la phrase. Aussi le cadre temporel est-il nécessairement actualisé. Le verbe en particulier, est employé à un mode personnel actualisant, c’est à dire à l’indicatif, dont les dix formes permettent d’effectuer précisément un repérage temporel. Les énoncés non verbaux, en certaine situation, peuvent faire valoir implicitement une certaine actualisation.
Ex : La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette...
Quant à l’infinitif de narration, il constitue précisément un marquage stylistique.
Ex : Et tous de s’esclaffer.
C. ASSERTION ET MODALISATION
Si l’énoncé asserté est présenté, sans autre indications, comme vrai par l’énonciateur, celui-ci dispose néanmoins d’outils assez variés pour nuancer cette croyance. On parlera alors de modalisation : adverbes et locutions adverbiales portant tantôt sur :
L’énonciation : sincèrement, à vrai dire etc...
L’énoncé : heureusement, apparemment, peut-être
D. ASSERTION ET NEGATION
L’énoncé négatif présente la particularité de faire entendre, en creux, derrière l’assertion du locuteur, une autre énonciation supposée inverse de celle qui est assertée (polyphonie énonciative).
Amine ne partira pas demain, c’est faire entendre la possibilité de dire : Amine partira demain.
II. MODALITE INTERROGATIVE
On peut la définir avec la notion de mise en débat. L’énonciateur, dans l’interrogation, suspend son jugement de vérité, présentant comme provisoirement indécidable le contenu propositionnel. De cette valeur de mise en débat découle les diverses interprétations possibles de phrases interrogatives depuis :
la simple demande de confirmation, répétition en écho des paroles de l’interlocuteur : Amine part demain ? – Il part demain.
jusqu'à la fausse interrogation appelée rhétorique orientant le jugement de l’interlocuteur : Est-il admissible de se conduire ainsi ?
en passant par la demande d’information : Quand Amine partira-t-il ?
la requête : Peux-tu me passer le sel ?
le rappel à l’ordre : Finiras-tu ?
ou l’hypothèse : Amine triomphait-il ?
L’énoncé interrogatif atteste le lien évoqué entre modalité et énonciation : interroger est bien un acte de discours présupposant une relation d’interlocution. Aussi l’interrogation indirecte, constituée d’une subordonnée complétive, doit-elle être exclue de la modalité interrogative. Ne seront examinées ici que les phrases non dépendantes de structure interrogative, appelée interrogative directe.
A. PORTEE DE L’INTERROGATION
1. Interrogation totale : c’est l’ensemble du contenu prépositionnel qui est mis en débat. Ex : Viendrez-vous ce soir ? (Réponse attendue : oui ou non).
2. Interrogation partielle : elle porte sur l’un des constituants de la phrase. Ex : A qui parlais-tu ?
3. Forme mixte : constituée par l’association de la modalité interrogative et du présentatif complexe : c’est...que/qui. Ex : Est-ce Amine qui est venu ? Si la réponse est : Non, c’est Samir, la portée de l’interrogation est partielle. Si, par contre, la réponse est oui/non/peut-être, cette seule validation peut faire considérer l’interrogation comme totale.
B. MARQUES DE L’INTERROGATION
1. Marques prosodiques : l’intonation
Marquée à l’écrit par un signe typographique, l’interrogation se marque par une courbe mélodique spécifique. Celle-ci diffère selon le type d’interrogation :
- Interrogation totale : la mélodie est ascendante, la voix reste en l’air, ce qui traduit justement la suspension constituée par la mise en débat. Ex : Aimez-vous Chopin ? (ä ) Cette intonation suffit d’ailleurs à elle seule à transformer tout énoncé assertif en interrogation. Ex : Vous aimez Chopin ?
- Interrogation partielle : la ligne mélodique est déterminée par la place du mot interrogatif. C’est en effet sur celui-ci que se place l’acmé. S’il est placé en tête de phrase, la voix ne peut alors que redescendre. Ex : Quel est votre compositeur préféré ? (æ ). Si au contraire l’ordre de la phrase assertive est maintenu, comme cela se constate à l’oral, le mot interrogatif, souvent alors placé en fin de phrase, détermine une mélodie ascendante. Ex : Vous venez quand ? (ä )
2. Marques morphosyntaxiques
- Ordre des mots : Le sujet y est postposé au verbe, le mot interrogatif placé en tête de phrase. Dans l’interrogation totale, deux types de postposition. Postposition simple, avec les pronoms personnels, les pronoms indéfinis, et le démonstratif ce. Postposition complexe : le groupe sujet demeure à gauche du verbe, mais il est repris à droite de ce dernier par un pronom anaphorique. Ex : Amine viendra-t-il ? Dans l’interrogation partielle, l’ordre peut être le même que dans la phrase assertive (Qui vous a dit cela ?), peut être celui de l’interrogation à postposition simple (que, qui, quel attribut et lequel : Que fait-il ? et comment, pourquoi, combien, quand et où si le sujet est un pronom personnel.) ou à postposition complexe sauf, parfois, lorsque le verbe est intransitif. Ex : Comment Amine a-t-il pris la nouvelle ? mais : Quand Amine partira ?
- La locution est-ce que : elle permet de maintenir l’ordre des mots de la phrase assertive. Dans l’interrogation totale, elle apparaît seule : Est-ce que Samir part ? Dans l’interrogation partielle, elle se joint aux mots interrogatifs pour former un outil composé : Où est-ce que tu vas ? Remarquer l’opposition sémantique animé/non-animé dans les locutions qui est-ce qui...?/ qu’est-ce qui...?
- Les mots interrogatifs : Leur présence est obligatoire dans l’interrogation partielle et exclue de l’interrogation totale. Il existe des déterminants (quel, combien de), des pronoms (qui, que, quoi, lequel etc...), et des adverbes (où, quand, comment, pourquoi, combien).
- Les modes verbaux : Comme la phrase assertive, la phrase interrogative nécessite les cadres dans lesquels elle sera déclarée vraie ou fausse : aussi nécessite-t-elle le plus souvent l’actualisation verbale. C’est donc l’indicatif qui est le plus souvent utilisé. L’infinitif et parfois aussi utilisé : c’est l’infinitif délibératif. Etre ou ne pas être ?
C. L’INTERRO-NEGATION
- Dans la question totale, la négation ajoutée à la modalité interrogative a pour effet d’orienter positivement l’énoncé. Ce type de question constitue une interrogation rhétorique (ou encore oratoire), détournement figuré (ou trope) d’une structure interrogative à fin exclamative.
III. MODALITE JUSSIVE
Elle constitue l’expression de la volonté de l’énonciateur dans toutes ses nuances : ordre, prière, requête etc. Celui-ci entend ainsi modifier le cours des choses. Comme la modalité interrogative, la modalité jussive est donc liée à une situation de communication sur laquelle elle a une incidence pragmatique. On parle aussi d’acte perlocutoire.
- MARQUE PROSODIQUE : L’INTONATION
Elle est marquée par une mélodie fortement descendante jusqu'à un niveau sonore assez bas. Ex : Venez ! Plus près ! (æ ).
En l’absence de toute autre marque, cette intonation suffit à donner une valeur d’ordre à n’importe quel énoncé. On peut ainsi trouver :
- un énoncé sans verbe
- une phrase assertive au futur ou au présent de l’indicatif : ex : Tu fermeras la porte en sortant.
B. MARQUES MORPHOSYNTAXIQUES : LES MODES VERBAUX
1. Ordre adressé à l’interlocuteur : l’impératif.
2. Ordre adressé à un tiers : le subjonctif.
3. Ordre à destinataire non spécifié : infinitif.
Le mode non personnel et non temporel exprime un ordre adressé à un destinataire non sélectionné ou inconnu. Ex : Ralentir.
C. L’ORDRE NEGATIF : LA DEFENSE
Elle est constituée par la combinaison de la modalité jussive et de la négation à deux éléments. Ex : Ne crie plus ! Ne pas fumer.
IV. MODALITE EXCLAMATIVE
Elle traduit la réaction émotionnelle du locuteur face à l’événement considéré : étonnement, colère, admiration etc. Elle renvoie au discours comme à la situation d’énonciation, mais n’implique pas forcément de réaction de la part de l’interlocuteur. Toutefois, on peut dire que cette modalité interfère le domaine de l’illocutoire dans le sens où l’exclamation traduit en elle-même un état particulier du locuteur qui doit être interprété par un éventuel interlocuteur.
A. MARQUES PROSODIQUES : L’INTONATION
Deux courbes mélodiques :
- Mélodie ascendante : Ex : Amine part ! (ä )
- Une mélodie descendante, partant d’un niveau assez haut. Ex : Qu’il est mignon ! (æ ).
La mélodie peut encore ici suffire à caractérise la modalité exclamative, qu’il s’agisse de phrases sans verbe ni outil spécifique, ou de phrase de structure interrogative.
B. MARQUES MORPHOSYNTAXIQUES
1. Les mots exclamatifs
Ils expriment le degré élevé en terme de quantité ou d’intensité. Certains de ces termes sont communs aux mots interrogatifs.
- Le déterminant quel. Ex :Quelle histoire !
- L’adverbe combien. Ex : Combien je le regrette !
- Le mot si qui introduit également l’interrogative indirecte totale. Ex : S’il est mignon !
- Des adverbes d’intensité comme tant, que ou comme. Ex : Que d’histoires ! Comme il a changé ! Il a tant changé !
- Enfin, rarement, un adverbe interro-exclamatif à tendance archaïsante issu de l’adverbe latin qui signifiant " pourquoi ", " en quoi ". Dans cette formulation, l’interrogation rhétorique se mêle à l’exclamation. Ex : Que ne le disiez-vous plus tôt ?!
2. Postposition du sujet
La modalité exclamative a parfois recourt à ce procédé. Ex : Est-il mignon !
3. Les interjections
Elles sont dotés d’une autonomie syntaxique par rapport aux autres constituants de la phrase et sont issues soit de mots invariables d’origine onomatopéique soit d’autres classes grammaticales. Ex : Chouette ! Bravo ! Dis donc !
4. Mode
On rencontre souvent l’indicatif. Mais le subjonctif a ici valeur de souhait. Ex : Puisses-tu être heureux !
L’infinitif centre de phrase peut être utilisé également. Ex : Voir Venise et mourir !
5. L’actualisation nominale
La modalité exclamative a souvent recours à un mode de détermination particulier avec l’emploi de l’article indéfini un / une ou avec le tour partitif un(e) de ces + groupe nominal au pluriel. Ex : C’est d’un chic ! Il a une de ces patiences.