Jacques Berque, né à Frenda (Molière) en (Algérie) le 4 juin 1910 et
mort à Saint-Julien-en-Born (Landes) le 27 juin 1995, est un sociologue et anthropologue orientaliste français. Le père de Jacques Berque, Augustin[1] Berque, après avoir été administrateur en
Algérie, finit directeur des Affaires musulmanes et des Territoires du Sud au Gouvernement Général.
Jacques Berque est titulaire de la chaire d'histoire sociale de l'Islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981 et membre de l'Académie de langue arabe du Caire depuis 1989.
Il est l'auteur de nombreuses traductions, dont celle du Coran et de Mémoires des deux rives, appréciées notamment pour la qualité de leur style. Il décrit l'utopie d'une « Andalousie », c’est-à-dire d'un monde arabe renouvelé, retrouvant à la fois ses racines classiques et sa capacité de faire preuve de tolérance et d'ouverture.
Biographie
Depuis 1934, Jacques Berque appartient à un corps extérieur des Affaires étrangères où il administre, en tant que civil, les tribus marocaines, côte à côte avec des officiers des Affaires indigènes. En 1935, il publie Le contrat pastoral à Sidi Aïssa, étude sur le contrat d'embauche d'un berger par un propriétaire de moutons. Outre le salaire en nature (engagement oral), Jacques Berque se penche sur la juridiction du prêt préalable (en général écrit), avance de fonds importante que le propriétaire ne peut refuser, mais que le berger est tenu de rembourser intégralement s'il veut quitter sa charge.
À la fin de l'automne 1946, Jacques Berque rédige un rapport dans lequel il dénonce "la marche absurde", "l'aveuglement" et "l'inertie" du Protectorat marocain, rapport présenté le 1er mars 1947, qui lui vaut une mutation immédiate à un poste dans un coin reculé du Haut Atlas. Le rapport est lu par un certain nombre d'intellectuels et de militants de gauche, et commenté dans la Tribune des Nations.
En 1949, Jacques Berque étudie l'organisation d'un système d'irrigation dans le Haut Atlas et le partage de l'eau entre plusieurs tribus. Il montre que la règle de la distribution locale, "minutée comme un mécanisme d'horlogerie" selon ses termes, est fondée sur l'organisation sociale en groupes, sous-groupes et individus à l'intérieur de la tribu, et non pas sur la topologie des canaux dans l'optique d'une rationalité technico-économique (manœuvres et pertes d'eau).
Considérant la décision de bannissement du roi Mohamed V, contraint à l'exil le 20 août 1953, comme une faute politique majeure, Jacques Berque démissionne sur le champ de l'administration et part en Égypte comme expert international. Il est élu au Collège de France en 1956 et revient alors à Paris.
Durant un quart de siècle, il effectue un va-et-vient continuel entre Paris, où il enseigne, et les pays méditerranéens dont il étudie la sociologie et l'anthropologie des peuples. Il se retire dans une clairière des Landes en 1981, consacrant le reste de sa vie à l'écriture, à la méditation, mais aussi à de multiples prises de positions politiques en tant qu'intellectuel engagé.
Les textes politiques
Juste avant son décès, Jacques Berque prépare un livre, Une cause jamais perdue. Pour une Méditerranée plurielle, qui rassemble la plupart de ses textes politiques, de 1956 à 1995. Le livre sera publié chez Albin Michel en 1998. Des thèmes brûlants, tels que les rapports de l'islam et de l'islamisme, ou l'ouverture de l'Occident à un monde multiculturel, sont abordés. Les principaux titres de chapitre de Jacques Berque dans ce livre sont brièvement présentés ci-dessous.
Liberté pour le Maghreb
Dans l'introduction du livre, "D'où je venais", Jacques Berque se situe :
« En analysant, longtemps après coup, mon itinéraire moral, je suppose que, sans la moindre illusion sur la malfaisance de forces socio-politiques dépassées, sur quoi se fondait notre établissement nord-africain, je gardais intacte ma foi dans une rencontre fondamentale entre l'Orient et l'Occident, celle-là même qu'ingénieurs et officiers saint-simoniens avaient cherché en Égypte puis en Algérie, non sans résultats estimables. »
Dans Politique étrangère (1956, n°6, revue), France-Observateur (17 décembre 1987, Dossier n°9, table ronde La guerre d'Algérie et les chrétiens), Jacques Berque écrit son désarroi face à la guerre d'Algérie.
Pour la Palestine
Au sein des intellectuels publiés chez Maspéro, la guerre des Six jours (1967) entraîne une scission entre un courant, autour de Jean-Paul Sartre, qui soutient Israël, et un courant, autour de Maxime Rodinson et Jacques Berque, qui soutient les Palestiniens. Dans Textes de documents du G.R.A.A.P. (1974, Éditions sociales), L'Humanité (5 octobre 1993), Révolution (novembre 1993), Jacques Berque exprime son inquiétude et souligne la "grave dissymétrie" qui, selon lui, affecte l'échange entre la reconnaissance de l'État d'Israël par l'OLP et la reconnaissance de l'OLP seulement, qui n'est pas un État, par Israël. Il écrit :
« La résistance à l'occupant est un droit officiellement reconnu. L'aide à la résistance, de peuple à peuple, participe de lois non écrites qu'on ne peut indéfiniment éluder. Il existe en ce sens une jurisprudence mondiale... »
En 1994, dans Atlantica Littéraire, il estime que le partage de 1947 marqua, à l'époque, « l'incapacité (déjà) de l'ONU de trouver une conciliation ». Il constate que la situation créée depuis 1967 a déplacé les limites prévues par cette décision, que Jérusalem, internationalisée, a été annexé par Israël en 1982. Il conclut :
« Le retour à la légalité internationale comme à l'équité s'impose en la matière. »
Un monde à refaire
Dans une série d'articles, Esprit (avril 1969, septembre 1970), Libération (jeudi 17 mai 1990), Révolution (novembre 1993), Panoramiques (janvier 1994), Atlantica littéraire (septembre 1994), Jacques Berque porte un regard critique sur le monde occidental, dont il estime que le développement technologique ne suffit pas à bâtir une culture, sur le risque de "médiévalisme", pour reprendre son mot, d'un Islam figé après la décolonisation. Dans Esprit (septembre 1970), il précise à Jean-Marie Domenach :
« Pour ma part, je considère qu'aucune libération de l'un des termes : société/psychisme/pluralité mondiale, n'est possible sans la libération des deux autres. Nous sommes loin du compte. Or, pas de libération sociale sans libération du dedans, ou, si vous préférez, des passions. Fourier doit là-dessus compléter Marx. Et pas de libération sociale ou personnelle sans la mise en jeu de la variété du monde. La pluridimensionnalité de l'homme est elle-même le fondement de l'injonction de la pluriculturalité du monde. »
Il appelle de ses vœux le développement d'une société occidentale multiculturelle ouverte autour d'un espace méditerranéen reliant "les deux rives". Il termine son livre en écrivant, en juin 1995 :
« Il n'est d'histoire véritable que par la mémoire et le projet. Certains cadres géographiques s'y prêtent particulièrement. C'est le cas de la Méditerranée. Ses deux rives se renvoient de longue date un double message de civilisation, l'arabo-islamique et le gréco-latin, l'un et l'autre s'articulant tour à tour et conjointement sur le mode religieux et sur le mode profane. Pourvu que nous y veillons, il y a peu de chance que ce message s'éteigne de sitôt. Il peut encore renforcer ses expressions séparées par leur interférence mutuelle. Il peut conjuguer le passé qu'il porte et l'avenir qu'agitent ses militants. Un avenir qui n'a pas à s'effarer de reposer sur tellement de conflits. Pas plus que l'Espagne ne peut faire aujourd'hui abstraction de ces Maures qu'elle croyait avoir bannis une fois pour toutes, la rive sud libérée ne le fera du regard de cet Autre qui, témoin de son passé à elle, l'aura si ardemment vécu. Et qu'ils aient encore beaucoup à témoigner l'un sur l'autre. »