
..Un oui, peut être parfois,chargé d'une telle émotion d'un tel élan de gratitude qu'il peut à lui seul remplacer tous les discours laudatifs qu'on puisse concevoir! ANONYME
J'avais tout débité d'un trait, de peur qu'elle ne m'interrompe, de peur que je ne trébuche sur les mots. Je ne l'avais pas regardée une seule fois. Et quand je m'étais tu, je ne l'avais pas regardée non plus. J'avais peur de voir dans ses yeux ce qui pourrait ressembler à de l’indifférence, ou à de la compassion. Ou même à de la surprise, car si je savais pertinemment que je la surprenais par cette déclaration, toute manifestation de surprise m'aurait donné à penser que nous n'étions pas dans les mêmes dispositions - et tout ce qu'elle aurait pu dire, après cela n'aurait été que politesse et consolation.
Je ne regardais donc pas, et si j'avais pu détourner les oreilles comme je détournais les yeux, je l'aurais fait. Car autant que dans son regard, je redoutais d'entendre ses mots, dans l'intonation de sa voix, l'indifférence, la compassion.. J'écoutais seulement sa respiration, chaude comme un soupir.
"oui"
Elle avait dit "oui".
C'était la réponse la plus belle, la plus simple, et pourtant c'était celle que j'attendais le moins.
Elle aurait pu se lancer dans des formules contorsionnées pour expliquer que, dans ces circonstances, il ne lui semblait pas possible que... Je l'aurais interrompu brutalement, pour lui dire : " N'en parlons plus ! " Elle m'aurait fait promettre que nous resterions tout de même bons amis, j'aurais dit : " Bien sur ", mais je n'aurais plus jamais voulu la revoir ni entendre prononcer son nom.
Elle aurait pu, à l'inverse, m'expliquer qu'elle aussi ressentait la même chose, depuis notre première rencontre... J'aurais su quoi dire, quoi faire.
Ce "oui" simple, ce "oui" sec, me laissait sans voix.
J'avais presque envie de lui demander : " oui, quoi ? " Parce qu'elle pouvait simplement avoir voulu dire : " oui, j'ai entendu " ; "oui , je prends acte " ; " oui, je vais réfléchir ".
Je l'avais regardée, inquiet, incrédule.
C'était le vrai " oui " , le " oui " le plus pur. Avec des yeux en larmes et un sourire de femme aimée.
Amine Maalouf, Les Echelles du Levant. Ed.Grasset et Fasquelle,1996.