Un amour pour rien (Extrait). Jean d'Ormesson (1978)
...Je me remettais à m’imaginer qu'elle allait venir se jeter dans mes bras. Ma torture de nouveau prit un visage bien précis : le téléphone. Je n'osais plus sortir, m'absenter une demi-heure, de peur qu'il ne sonnât et qu'elle ne rappelât pas. Une nuit, la sonnerie retentit vers deux heures du matin. C'était une erreur. Elle me laissa le coeur battant jusqu'aux petites lueurs de l'aube. Le destin de l'amour moderne est dans cette étrange appareil qui nous dispense la tendresse et tous les désespoirs. Ce robot aveugle qui remplace les lettres fait soudain de l'oreille, après les yeux, la bouche, les mains, un des organes douloureux et avides du plaisir et des chagrins de l'amour.
Béatrice ne m'appelait pas. Je résistais à l'appeler. J'avais mal. Je dormais. J'allais au cinéma. Je travaillais, peu
et mal, en pensant à elle. L'amour c'est ça. Ce n'est pas toujours, hélas,comme le voudrait une belle définition, " ce qui se passe entre deux êtres qui s'aiment". C'est surtout un vide,une
absence,un chagrin solitaire; c'est cette idée derrière la tête, à laquelle, malgré ce que je viens de dire, on ne pense pas tout le temps, mais qui est tout le temps présente parce que son objet
est absent.
Posté par Dejla A. le 28/12/2010