Du Caire, une lettre de May Ziadah à Gibran, datée du 15 janvier 1924
« Mes épanchements auprès de vous - que signifient-ils ? Je ne sais pas vraiment ce que je veux dire par tout cela. Mais je sais que vous êtes mon bien-aimé et que je vénère l'Amour. Je dis cela en sachant parfaitement que le plus petit Amour est grand. La pauvreté et les épreuves qui vont de paire avec l'Amour sont de loin préférables à la richesse sans lui. Comment se fait-il que j'ose avouer ces pensées ? En faisant cela, je les perds... néanmoins, j'ose le faire. Dieu merci, j'écris tout cela au lieu de le dire, parce que si vous étiez maintenant ici, présent en chair et en os, je me rétracterais et vous fuirais pour longtemps, et ne vous permettrais de me revoir qu'après que vous ayez oublié mes paroles.»
« Je me reproche même de vous écrire, car en écrivant je trouve que je prends beaucoup trop de libertés ... et je me rappelle les paroles des sages de l'Orient : « Il vaut mieux qu'une jeune femme ne sache ni lire ni écrire. » A ce point de mes réflexions se profile devant moi Thomas l'incrédule. L'hérédité a-t-elle quelque chose à voir avec ceci, ou s'agit-t-il de quelque chose de plus profond ? Qu'en est-il ? Je vous en prie, dites-moi ce que c'est. Dites-moi si j'ai raison ou tort, car j'ai confiance en vous, et par tempérament je crois tout ce que vous me dites ! Que j'aie tort ou raison, mon coeur vous est acquis, et il vaut mieux qu'il reste auprés de vous en gage de protection et de tendresse pour vous garder et vous chérir. »
« Le soleil a sombré sous l'horizon lointain, et entre les nuages, merveilleux de forme et d'aspect, est apparu un astre unique et brillant, Vénus, la déesse de l'Amour. Je me demande si cet astre est habité par des gens comme nous, qui aiment et sont remplis d'un désir éperdu. Se peut-il que Vénus ne soit pas comme moi et n'ait pas son Gibran - une lointaine et belle présence, qui est en réalité très proche - et se peut-il qu'elle ne soit pas en train de lui écrire en cet instant même, alors que le crépuscule vacille au bord de l'horizon, sachant que l'obscurité succédera au crépuscule, et que la lumière succédera à l'obscurité; que la nuit succédera au jour et que le jour succédera à la nuit, et que cela continuera maintes et maintes fois avant qu'elle ne voie son bien-aimé ? Toute la solitude du crépuscule se glisse ainsi en elle, et toute la solitude de la nuit. Elle jette alors sa plume, et elle se protège de l'obscurité derrière le bouclier d'un seul nom : Gibran. »
Réponse de Khalil Gibran (extrait)
"Comme vos lettres me sont douces, May, et combien délicieuses. Elles sont comme une rivière de nectar qui descend du sommet de la montagne et se fraie en chantant un chemin dans la vallée de mes rêves. Elles sont comme le luth d'Orphée, qui attire ce qui est éloigné et transforme ce qui est proche, et grâce à ses hymnes enchantés, métamorphose les pierres en torches enflammées et les branches en ailes frémissantes.Le jour où une de vos lettres arrive est pour moi comme le sommet de la montagne - aussi que dirais-je d'un jour où trois lettres arrivent en même temps ? Ce jour là je quitte les sentiers battus du temps pour errer dans les rues " d'Iram aux colonnes "
Posté par Moufida Talbi, le 02/10/2010